La parole à Rodolph Balej

« Nous sommes allés en France, nous avons redécouvert le Québec »

 

Espaces naturels n°23 - juillet 2008

Le Dossier

Rodolph Balej
Coordonnateur « aires marines protégées » au Québec ministère du Développement durable, de l’environnement et des parcs

 

Avant de mettre en place son réseau d’aires marines, le Québec a engagé des coopérations avec différents pays dont la France. Intérêts et retombées ? Rodolph Balej fait le point.

Le Québec s’est doté d’une stratégie visant à créer un réseau d’aires protégées représentant 8 % de son territoire. La protection des aires terrestres est bien engagée, celle du milieu marin semble plus difficile. C’est dans ce cadre que vous avez souhaité un échange avec la France ?
Il n’existe présentement qu’une seule véritable aire marine au Québec : le parc marin du Saguenay Saint-Laurent. La protection du milieu marin s’avère ardue en raison des champs de compétences partagés entre les gouvernements du Québec et du Canada1, mais aussi du fait des enjeux de développement économique liés aux ressources (notamment énergétiques) ; et parce que la connaissance scientifique du milieu marin reste lacunaire. Dans cette situation, nous étions intéressés à nous ouvrir à l’expérience française. Une délégation québécoise est venue en France trois années consécutives, de 2005 à 2007. En contrepartie, une délégation française a été accueillie au Québec à trois reprises.
Vous vous étiez préparé à cet échange. Que cherchiez-vous ? Comment vous y êtes-vous pris ?
Au départ, nous étions surtout intéressés par les méthodologies relatives à la connaissance des milieux marins et à leur caractérisation. En outre, nous étions curieux de savoir comment les territoires d’intérêt pour la conservation, au regard des enjeux de biodiversité et des contraintes socioéconomiques, étaient sélectionnés en France. Ces domaines sont très exploratoires (pensons qu’il y a moins de 1 % des océans protégés) et nous pensions pouvoir bénéficier de l’expérience de nos homologues français.
Vous pensiez… ? La coopération ne vous a donc pas donné satisfaction ?
Nous avons considérablement enrichi notre connaissance. Cependant, nos cadres d’analyse sont très différents ; les approches méthodologiques qui en découlent sont difficilement transposables. La finalité est sensiblement la même, celle d’établir un réseau représentatif d’aires marines protégées mais les façons d’y parvenir sont différentes. Ainsi, en France, les enjeux écologiques et socioéconomiques des territoires d’intérêt sont analysés conjointement et à petite échelle ; en revanche, au Québec, l’évaluation de la représentativité écologique des territoires d’intérêt est réalisée préalablement à la prise en considération de leurs contraintes économiques ou sociales, et ce à une échelle d’analyse plus grande, de l’ordre du millier de km2.
Diriez-vous que les échanges n’ont pas été à la hauteur de vos espérances ?
Ils l’ont été, bien au-delà ! D’abord, parce que nous nous sommes aperçus, qu’au-delà de nos différences, nous partagions une même réalité : celle de disposer d‘outils difficilement applicables en milieu marin par exemple. À cet égard, le concept de parc naturel marin élaboré par la France a retenu notre attention. Il est souple. Il peut s’adapter à des enjeux socioéconomiques variés. C’est un instrument visant à promouvoir une gestion intégrée et durable des ressources.
Il ne pourrait cependant pas être transposé tel quel au Québec, le contexte socioéconomique, culturel et institutionnel étant très différent. Cet outil nous permet de voir autrement celui de « réserve aquatique » dont nous disposons. De ce point de vue, la coopération a permis à chacun de questionner sa propre expérience et de « bonifier » certaines approches en s’inspirant de celles de l’autre.
Comment caractériseriez-vous les retombées de cette coopération ?
Le regard de l’autre nous a permis de prendre un peu de distance et d’objectiver nos pratiques. Concernant les problématiques de gouvernance et de participation du public par exemple, j’ai vraiment réalisé l’importance de notre Bureau d’audiences publiques sur l’environnement, communément appelé BAPE. Pour en dire deux mots, cet organisme indépendant donne des avis au ministère sur des projets de développement et d’aménagement. Il consulte le public et diffuse l’information. Jusque-là, j’avais le point de vue d’un chargé de projet pour qui ce bureau s’apparente un peu à un tribunal. J’avais tendance à le considérer comme une contrainte supplémentaire. La coopération m’a offert l’occasion de m’apercevoir combien cet outil était utile, efficace et, à certains égards, enviable. J’ai réalisé l’importance de la crédibilité donnée par ce biais aux démarches gouvernementales. Un tel mécanisme n’existe pas ailleurs de manière aussi performante. Les points de vue de mes homologues français m’ont fait réaliser que nous n’étions pas aussi novices que nous le pensions et que nous devions davantage valoriser nos acquis.
Par ailleurs, notre complexité est devenue plus acceptable. Un exemple : nous cherchions à savoir comment – en France – était gérée la multitude des intervenants et des décideurs en milieu marin ; et, je dois vous l’avouer, les relations État-collectivités locales nous sont apparues d’une grande complexité… tout autant que le contexte québécois pour nos collègues français !
Quels sont les facteurs d’une coopération réussie ?
Le succès d’une coopération réside dans l’absence de rapport de pouvoir. La réussite peut être différée car la coopération n’est pas un événement ponctuel. Elle offre la possibilité de nouer des liens pouvant être ravivés pour obtenir, en temps opportun, de nouvelles informations. La coopération a ceci de beau qu’il s’agit d’un tissage : celui d’une toile de relations humaines. Il faut aller vers la coopération l’esprit libre, sans crainte du jugement d’autrui et avec humilité. Contrairement à ce qu’affirmait Jean-Jacques Rousseau, chacun gagne à apprendre de l’expérience des autres.

Recueilli par Moune Poli

1. Le Canada est constitué de dix provinces (dont Québec) et de trois territoires. Les provinces sont des États qui existent en vertu de la Constitution canadienne et possèdent dans leurs champs de compétence des pouvoirs souverains, indépendamment du gouvernement fédéral. Les territoires canadiens sont des divisions administratives. Elles relèvent du parlement fédéral canadien qui a dévolu certains pouvoirs à leurs administrations locales.