Entretien avec Kamardine Ahamed

La performance se décrète-t-elle ?

 
Management - Métiers

Kamardine Ahamed
Responsable de la gestion des terrains du Conservatoire du littoral au conseil général de Mayotte

 

Suffit-il de savoir ce qu’il faut faire pour y parvenir ? Jeune cadre, Kamardine Ahamed a cherché à réorganiser ses équipes.

Qu’il lève le doigt celui qui n’a jamais été effleuré par l’idée qu’un colloque, un stage, une formation était avant tout l’occasion de prendre l’air, voire quelques vacances.
Les conséquences de l’échange organisé par Rivages de France entre les gardes du littoral de Mayotte et ceux d’Eden 62 dans le Pas-de-Calais ont suffisamment bousculé la donne pour que l’on se détrompe.
« Quinze jours en France métropolitaine, et j’ai immédiatement compris ce qui n’allait pas chez nous », explique Kamardine Ahamed, responsable des gardes du littoral au conseil général de Mayotte. « Dès ma première sortie sur le terrain, j’ai été frappé par l’organisation du travail, différente de la nôtre. Notre fonctionnement s’appuyait sur un découpage en quatre secteurs d’activités. Chaque technicien étant chargé d’une mission précise : agriculteurs, mangroves, oiseaux, faune et flore. Le responsable du suivi des oiseaux ne s’occupait pas des agriculteurs ! Au final, chaque agent intervenait sur plusieurs sites sans avoir de lisibilité globale quant à la politique à mener. »
A contrario, les agents d’Eden 62 sont compétents pour l’ensemble d’un territoire. « J’ai vu comment un gestionnaire est capable de balayer tout l’historique et l’inventaire de son site et j’ai été enthousiasmé par cette cohérence. »
De retour chez lui, le jeune cadre décide alors de réformer sa structure et de convaincre ses cinquante et un collègues. Il prépare le terrain par une information enthousiaste qu’il mène envers ses cadres. S’appuyant sur des résultats recueillis auprès d’Eden 62, il temporise, explique qu’il faut prendre le temps mais qu’il souhaite qu’on s’aligne sur ce nouveau modèle. Il argumente en expliquant l’importance de parler le même langage que les gestionnaires de métropole. De réunion en réunion, il explique encore et encore l’importance d’une organisation qui permette au gestionnaire d’avoir une vision globale de la gestion de l’espace.
Les réticences n’ont rien de catégorique. « C’étaient surtout des questions, des réflexions, des orientations constructives. On cherchait où ça pouvait coincer », développe-t-il.
Mais, s’il sent auprès des cadres un terreau favorable au changement, il s’interroge : « Comment un agent qui a l’habitude de ne s’occuper que des agriculteurs, peut-il acquérir le recul nécessaire à cette organisation nouvelle ? » Il attend.
L’occasion se présente quatre mois plus tard. Une réorganisation des services au conseil général lui donne l’opportunité de bousculer les choses. Il découpe son territoire en secteurs dont chaque cadre a dorénavant la responsabilité.

Après une année d’expérimentation, l’enthousiasme de Kamardine Ahamed n’a pas failli. Il est sûr que son choix était le bon ; son discours cependant s’est fait plus réaliste : « Il n’y a pas eu de véritable résistance au changement mais il faut reconnaître que les gens de terrain ont des difficultés à s’adapter. »
Et, quand la discussion se fait plus informelle, Kamardine Ahamed baisse la garde, livrant, sur le ton de la confidence, que « c’est dur ».
« À Mayotte, nombre d’agents ne sont pas allés au-delà du primaire. Or, le type d’organisation demande de mobiliser davantage de compétences et un champ de savoirs plus élargi. Il faut également une sacrée capacité d’analyse des situations, et de l’autonomie. Autant de savoir-faire longs à acquérir.
Les faits sont là. Malgré l’accompagnement des agents qui passe par des actions de formation, d’alphabétisation, de reconnaissance des espèces, de connaissance des habitats… l’organisation peine à se mettre en place. Les responsables les plus performants se focalisent sur leur site mais doivent aussi continuer leur rôle d’expert, suppléant les déficiences des autres.
Les uns surtravaillent tandis que la majorité des agents, moins aguerris, s’interrogent toujours sur ce que l’on attend d’eux. »
Kamardine sait que le contexte social et économique de Mayotte est la cause de tous ces flottements. Tout comme le type de recrutement. Aussi ne refuse-t-il pas la question qui fait mal : aurait-il dû davantage prendre en compte la ressource humaine dans la recherche d’une performance optimale ? Combien de temps faudra-t-il pour réussir à faire partager ce nouveau système de référence avec l’ensemble des agents ?
« Du temps, répond Kamadine, vraiment beaucoup de temps. »