Suivre les relations ongulés-forêt
Espaces naturels n°21 - janvier 2008
Thierry Chevrier
ONCFS
Jacques Michallet
ONCFS
Sylvain Ougier
PNR Chartreuse CRPF Rhône-Alpes
Patrice Sibut et Franck Delphin
FDC Isère et ONF Isère
Les grands herbivores sauvages (cerfs, chevreuils, chamois et mouflons) sont-ils en équilibre avec leurs habitats ? Pour le savoir, l’Observatoire de la grande faune et de ses habitats élabore des outils de suivi et de mesure de ces relations. Dans le massif de la Chartreuse, de nouveaux indicateurs sont testés en simultané pour tenter de répondre à cette question.
En Chartreuse, comme dans de nombreux autres massifs forestiers, la récente progression des populations d’ongulés sauvages s’est traduite par une plus forte sollicitation de leurs habitats naturels, en particulier les forêts.
En 2002, dans le cadre de ces actions, l’Observatoire de la grande faune et de ses habitats (voir encadré) a mis en place un suivi à long terme de l’état d’équilibre des « ongulés-forêt ». L’objectif est de mettre en œuvre une batterie d’indicateurs fiables et adaptés à la gestion durable des espèces et des espaces aux échelles opérationnelles (unités de gestion, massifs forestiers, unités biogéographiques…).
L’expérience est novatrice puisqu’elle intègre à l’échelle d’une unité naturelle plusieurs espèces (cerf, chevreuil, chamois, mouflon, sanglier) et une palette variée d’habitats.
Avec la présence de cinq espèces de grands herbivores et plus de 60 % de sa superficie totale boisée (43 200 hectares), ce territoire constitue un véritable espace de référence.
Par ailleurs, l’organisation cynégétique des départements de l’Isère et de la Savoie, où les associations communales de chasse agréées (ACCA) sont obligatoires, a permis de mettre en place un dispositif de recueil des données efficace grâce aux deux mille chasseurs du massif. Concrètement, le suivi s’articule autour de trois axes :
- l’abondance des populations d’ongulés (indice kilométrique, comptage au phare, pointage flash…),
- la performance des individus (analyse des tableaux de chasse : masse corporelle, longueur du métatarse…),
- l’impact des ongulés sur la flore (indice de consommation, taux d’abroutissement). La première étape du travail consiste à choisir les bons indicateurs, à harmoniser et améliorer leurs mesures. Pour atteindre cet objectif, un réseau communal de correspondants « Analyse tableaux de chasse » (ATC) a été mis en place, comprenant un ou plusieurs correspondants par société.
Le travail s’est appuyé notamment sur les indicateurs d’équilibre déjà mis en place par l’Observatoire. Par exemple, le poids des jeunes chevrillards, la longueur moyenne de leur patte arrière constituent des indicateurs fiables du niveau d’équilibre des relations « forêt-chevreuil ».
Une fiche descriptive unique élaborée pour chacune des espèces présentes a été largement diffusée dans le massif (fig. 1). Cette dernière reprend toutes les informations utiles à la gestion (date de tir, sexe et âge de l’animal, poids, longueur de la patte arrière, etc.).
Après avoir suivi une formation dispensée par l’Observatoire, les correspondants sont chargés d’effectuer les mesures biométriques et de transmettre les informations recueillies aux correspondants du massif. Chaque année, plusieurs milliers de fiches complétées par les chasseurs sont ensuite saisies dans une base de données informatique. Leurs analyses fournissent alors une série d’informations importantes pour la mise en place de décisions de gestion élaborées dans le cadre des plans de chasse annuels. Une démarche similaire est actuellement adoptée pour améliorer la fiabilité des suivis d’abondance (indice kilométrique, indice nocturne) sur l’ensemble du massif et tester de nouvelles techniques.
Parallèlement aux mesures biométriques, différents indicateurs floristiques sont mis en œuvre depuis 2004 sur le massif. Chaque année, au printemps, des relevés d’abroutissement de la flore forestière sont réalisés à partir d’un réseau de placettes réparti sur le secteur du col de la Charmette (centre du massif).
Concrètement, on examine la consommation des pousses des essences ligneuses et semi-ligneuses (de la saison de végétation précédente) par les ongulés sauvages.
On évalue également la disponibilité de chacune des essences pour évaluer un taux de consommation. Ceci permet de calculer deux indices : l’indice de consommation et le taux d’abroutissement. Ils permettent de quantifier et de suivre, au cours du temps, l’évolution du niveau de consommation par les ongulés sauvages, de l’ensemble de la flore forestière (indice de consommation), ou bien des essences économiquement intéressantes : sapin pectiné, hêtre, etc. (taux d’abroutissement).
En Chartreuse, les relevés réalisés entre 2005 et 2006 montrent une baisse significative de la sollicitation de la flore forestière, en particulier du sapin pectiné (fig. 2). Ces résultats, interprétés en termes de tendances d’évolution, sont ensuite corrélés avec les indicateurs d’abondance et biométriques.
À terme, ces dispositifs devront être validés comme des indicateurs pertinents de suivi de l’état d’équilibre entre les populations d’ongulés sauvages et leur environnement.
Malgré la jeunesse de cette structure, les premiers acquis montrent toute l’efficacité d’une action concertée et d’une utilisation collégiale des résultats. L’OGFH constitue une « plateforme technique opérationnelle » où s’échangent et se coordonnent des approches nouvelles, à même de fournir
aux décideurs chargés de la gestion de la faune sauvage des informations fiables et pertinentes.
Au-delà de son intérêt technique, l’expérience acquise sur chacun des sites de référence fait de l’OGFH un support permanent de formation et de vulgarisation à l’attention des gestionnaires locaux.
L’exemple de l’OGFH devrait susciter sur le plan national la mise en œuvre de démarches de travail similaires dans le cadre de problématiques identiques, en intégrant bien évidemment les spécificités locales.
En savoir plus
http://www.oncfs.gouv.fr
(Rubrique « Le point sur la Faune »)