Le déclin d’une agriculture classique
Espaces naturels n°20 - octobre 2007
François Leger
Chercheur à l’Institut national agronomique Paris-Grignon Membre du conseil scientifique du Conservatoire du littoral
Pression foncière et touristique, pression démographique et urbanisation, les modèles agricoles classiques ont du mal à se maintenir sur l’espace littoral. Voilà qui laisse la place à d’autres types d’agricultures et de rapports avec les utilisateurs des rivages.
C’est un serpent de mer qui resurgit : les espaces littoraux sont essentiels pour la biodiversité et les paysages, quelle politique adopter pour leur conservation ? Pour le Conservatoire du littoral, la stratégie consiste à acquérir des terrains dont une partie importante est constituée de terres agricoles. L’établissement cherche ainsi à endiguer le développement du bâti et à limiter les effets de l’intensification agricole, en favorisant des pratiques qui contribuent à la qualité écologique de ces espaces.
Mais ces raisons, qui fondent l’action du Conservatoire, sont celles aussi qui entraînent l’agriculture littorale dans un déclin rapide. De ce point de vue, deux indicateurs paraissent d’ailleurs symptomatiques. Celui de l’Ifen tout d’abord, qui dévoile comment la surface agricole utile des communes littorales a perdu 170 000 hectares entre 1970 et 2000 : une baisse de plus de 20 % à comparer à la diminution de 6,8 % s’appliquant à l’ensemble du territoire de France métropolitaine. Par ailleurs, une étude du Cnasea montre que le taux de renouvellement des 50 000 exploitations des cantons littoraux n’a été que de 0,4 % en moyenne annuelle de 1999 à 2004, soit moins du cinquième de la moyenne nationale1.
w Pression foncière. La convergence de ces deux chiffres, baisse des surfaces, baisse des installations, traduit le facteur clé de ce déclin : l’augmentation de la pression foncière. La densité de population des bords de mer est deux fois et demie supérieure à la densité nationale. Cette pression est appelée à s’amplifier : 3,4 millions d’habitants nouveaux devraient s’installer sur le littoral d’ici 2030.
Le développement urbain et les nouveaux aménagements qu’il implique déstructurent les espaces agricoles, transformant les conditions d’exercice de l’activité agraire. Pour amener ses brebis de la bergerie aux parcours, cet éleveur des Pyrénées-Orientales doit traverser des routes de plus en plus empruntées et, depuis peu, un lotissement construit devant sa maison. La population augmente et les promeneurs du dimanche aussi, ce qui demande une garde active du troupeau. Cet autre éleveur du Morbihan, faute de pouvoir faire traverser par ses vaches une route très fréquentée, a renoncé à faire pâturer les prairies les plus proches du rivage, qu’il consacre désormais à des cultures intensives de fourrage !
w Concurrence urbaine. L’accès au foncier se trouve limité par la concurrence urbaine. De nombreux propriétaires préfèrent ne plus mettre leurs terres en fermage, espérant qu’elles puissent un jour être constructibles et voir ainsi leur valeur augmenter parfois de plus de deux cents fois. Les agriculteurs eux-mêmes sont tentés : à l’heure d’organiser sa succession, faut-il transmettre une exploitation dont la valeur immobilière, bâti et terres, est totalement disproportionnée par rapport au revenu qu’il est possible d’en espérer ? De tailles déjà plus réduites qu’ailleurs (31 ha au moment de l’installation contre 43 ha pour l’ensemble des exploitations aidées2), les exploitations du littoral ne peuvent guère se plier à la dynamique d’agrandissement, dominante en agriculture.
w Démoralisation. D’autres facteurs liés à l’urbanisation des littoraux compliquent encore l’activité agricole. Les critiques se font de plus en plus pressantes contre les pollutions et les nuisances. Certaines sont pleinement justifiées : on connaît la responsabilité de l’agriculture intensive dans les phénomènes d’eutrophisation des eaux qui conduisent aux pullulations d’algues vertes en Bretagne. D’autres, plus fréquentes et qui interpellent directement les individus, relèvent plus de problèmes de voisinage, plaintes contre les mouches, les odeurs d’étable, les routes salies par les bouses. Elles contribuent bien plus fortement que les critiques générales contre l’agriculture intensive à une forme de démoralisation qui explique autant que les conditions économiques le renoncement de certains à l’activité agricole.
w Qualité. Ce déclin de l’agriculture n’est pas une bonne nouvelle. On peut se réjouir de la montée en puissance d’une critique des formes d’agriculture les plus dangereuses pour l’environnement. Mais, sans agriculture, peut-on espérer conserver les espaces très étendus qui doivent leurs qualités paysagères et écologiques actuelles à leur passé agricole ? La friche et le béton constituent-ils une alternative positive ?
Pour tous ceux qui s’attachent à la sauvegarde des paysages et à la conservation de la nature, la question se pose désormais d’un engagement auprès de ceux qui, prenant conscience tout à la fois des enjeux environnementaux, des nouvelles attentes des consommateurs, des atouts que peut offrir la proximité avec ces derniers, cherchent à développer ou à encourager de nouvelles formes d’agricultures : agriculture biologique, vente directe, circuits courts, transformation fermière, agritourisme. De nombreux exemples témoignent de l’efficacité de ces nouveaux modèles agricoles. Mais ceux-là, pour être pleinement légitimes, n’ont d’autre choix que de s’intégrer dans un nouveau contrat social organisé autour du mot clé de qualité : qualité des produits, qualité des services rendus à l’environnement, à la collectivité. Les littoraux marquent l’impératif de nouvelles alliances qui, considérant le développement dans toutes ses dimensions, permettent une préservation durable de l’environnement.
1. Chiffres concernant les seules installations aidées, bénéficiaires d’une dotation jeune agriculteur.
2. Source : Centre national pour l’aménagement des structures des exploitations agricoles (Cnasea).