>>> Agriculteurs et gestionnaires

Le duo rural peut fonctionner

 
Les chercheurs analysent les clés du succès

Espaces naturels n°20 - octobre 2007

Le Dossier

Marc Benoît
Directeur de recherche - Inra-Sad Mirecourt

 

Quand les agriculteurs collaborent avec les conservatoires d’espaces naturels, on découvre qu’ils changent de point de vue sur leurs territoires.

Ardue, vivante, colorée, la collaboration entre agriculteurs et gestionnaires d’espaces naturels est quelquefois tout simplement quotidienne. Mais qu’apporte-t-elle vraiment ? Pour le savoir, plusieurs chercheurs ont travaillé sous la houlette d’un programme du ministère de l’Écologie et du développement durable1. Soixante-dix-huit situations ont donné lieu à enquête. Dans chacune d’elles, des agriculteurs étaient mobilisés pour protéger des espaces naturels dans le cadre de dispositifs contractualisés avec des conservatoires d’espaces naturels.
Pendant trois ans, de 2001 à 2004, les scientifiques se sont attachés à déterminer les conséquences de ce
travail collaboratif : comment les intérêts de ces acteurs aux enjeux parfois divergents peuvent-ils se rapprocher ? Sous quelle forme s’opère l’intégration ?
Qu’ont-ils découvert ? Que cette collaboration modifie les pratiques des agriculteurs. En effet, les chercheurs ont pu repérer que la négociation et la concertation suffisaient, à elles seules, à modifier la manière dont les agriculteurs pensent le fonctionnement de leur exploitation agricole. Trois éléments peuvent particulièrement être mis en évidence.
w La réflexion sur la stratégie territoriale. Les agriculteurs s’intéressent aux règles de la politique agricole commune ainsi qu’à la construction de l’avenir de leur exploitation agricole. Le processus de concertation les amène à prendre en compte l’opportunité qu’il leur est offerte de disposer de surfaces complémentaires. Ils la considèrent comme un atout pour leur exploitation. Ces surfaces complémentaires deviennent parties intégrantes de leur stratégie territoriale. Ils en font un point de négociation avec les conservatoires.
w L’organisation spatiale des exploitations. La négociation induit également des changements dans la manière dont les agriculteurs conçoivent l’organisation spatiale de leur exploitation. En effet, les accords étant conclus dans le cadre de la protection des espaces naturels, ils ne concernent généralement qu’une part réduite de leur territoire d’exploitation. Les éleveurs sont donc amenés à s’organiser différemment. Lorsqu’un contrat concerne le pâturage de dix hectares de coteau à une période précise, par exemple, le professionnel doit alors organiser le pâturage tout au long de l’année.
w Les potentialités des terrains. Certains sites sont perçus « sans intérêt agricole ou de mauvaise qualité ». Ce peut être le cas d’une prairie humide éloignée qui peut être appréhendée comme « un lieu où les tracteurs s’enlisent ». Le petit coup de pouce financier et le travail avec les gestionnaires d’espaces naturels vont changer le regard des agriculteurs. L’adoption de nouvelles pratiques les amène à voir les potentialités de toutes les terres. Ils vont alors percevoir l’ensemble du territoire comme une ressource potentielle. Ainsi, une pelouse calcaire d’un très faible intérêt initial pour le pâturage d’ovins devient un espace suffisamment remarquable pour être affiché fièrement sur le site Internet de l’agriculteur, lors de l’inauguration d’un gîte rural.
La recherche, qui comportait également un volet sociologique, a permis de mettre en évidence tout l’intérêt de rendre convergentes les visions territoriales des gestionnaires (le site à protéger) et celle des agriculteurs (leurs territoires d’exploitation). Concrètement, il s’agit d’inciter l’agriculteur à intégrer la logique écologique des territoires et de demander au gestionnaire de prendre en compte le fonctionnement d’exploitation. Pour cela, le gestionnaire doit penser à rendre compte à l’agriculteur des évolutions des territoires, habitats et espèces protégés. Ce suivi doit s’assortir d’une présence régulière (en dehors des nécessités de relevés, inventaires ou suivis biologiques). Il faut aussi donner à l’agriculteur les moyens de comprendre la politique du gestionnaire. L’agriculteur sera utilement associé au sein des comités de pilotage ou plus concrètement à l’élaboration du plan de gestion.
La question des aménagements (clôtures, franchissements…) a aussi une place importante pour les éleveurs. Le gestionnaire aura donc tout intérêt à prendre en compte cette problématique. Ces aménagements sont perçus comme un gage d’engagement s’il peut les prendre en charge ou participer à leur réalisation.
À toutes ces conditions, les collaborations entre agriculteurs et gestionnaires modifient les points de vue sur les territoires. Pour les agronomes aussi, la notion de potentialités territoriales est sans doute à repenser !

1. Ce travail a été effectué dans le cadre du programme de recherche « espaces protégés » du ministère de l’Écologie et du développement durable. Il a mobilisé : Marc Benoît, Mathieu Capitaine, Inra, station Sad, 88500 Mirecourt, France, Marie-Noëlle Anfrie et Marc Mormont, FUL, département des sciences de l’environnement, université de Liège, Belgique.