Installer des agriculteurs : un marathon administratif
Espaces naturels n°20 - octobre 2007
Patrick Bazin
Conservatoire du littoral
Jade Isidore
Conservatoire du littoral
Le Conservatoire du littoral a acquis la certitude qu’il est du devoir des instances publiques d’agir pour l’agriculture littorale. Depuis sa création en 1975, il met les espaces agricoles de son domaine à disposition d’exploitants. Une redevance est modulée selon les dispositions d’un cahier des charges adapté à chaque situation. Parmi les quelque sept cents éleveurs, viticulteurs, saliculteurs ou ostréiculteurs présents sur ses terrains, certains sont peu concernés par l’établissement public ; d’autres y ont l’essentiel de leur surface, voire leur siège d’exploitation.
Dans un contexte littoral où la ruralité cède la place aux usages balnéaires et résidentiels, le Conservatoire devient parfois propriétaire d’une part significative des espaces agricoles relictuels. Il recherche alors pour ces parcelles, parfois abandonnées ou utilisées de façon intensive, des exploitants adoptant des pratiques favorables aux enjeux naturalistes et paysagers en présence.
Cette quête se révèle ardue lorsque le contexte agricole s’est effrité ou ne se prête pas au type d’agriculture que défend l’institution. Ainsi, en situation périurbaine, sur les petites îles et dans les grandes zones humides drainées que le Conservatoire souhaite reconvertir en prairie, les exploitants volontaires à la reprise sont rares.
Cela a conduit l’établissement à imaginer d’installer des jeunes agriculteurs sur ses terrains. L’alliance est simple : le jeune dispose d’un foncier stable et peu onéreux pour son projet, tandis que le Conservatoire gagne un partenaire motivé qui entretient un territoire vivant, en conformité avec ses missions.
Sur le plan pratique, la mise en œuvre de ces projets, moins d’une dizaine encore en France, relève du marathon administratif et technique : sur la base d’un appel à candidature, la structure publique et les instances agricoles locales doivent sélectionner un projet et des candidats sur des critères multiples, au rang desquels la viabilité économique n’est pas le moindre. Il s’agit alors d’un véritable défi collectif, dans lequel doivent impérativement se retrouver les représentants et techniciens agricoles, les collectivités locales, le Conservatoire, son gestionnaire… et, bien sûr, les impétrants.
L’agriculture littorale fait partie du patrimoine naturel et culturel local, elle est garante d’ambiances, de paysages et de services qui disparaissent sur le littoral face à une pression foncière démesurée.
Cela n’est pas un combat d’arrière-garde : au-delà de ce travail de sauvegarde, de nouveaux équilibres économiques et sociaux se dessinent. Les instances agricoles s’intéressent aux expériences atypiques que mènent ces jeunes audacieux, dans des lieux où les filières traditionnelles abdiquent. Les collectivités, quant à elles, prennent conscience que l’aménagement de leur territoire a besoin de cette présence. Des projets économiques innovants se développent : ici, un projet pédagogique à la ferme voit le jour sur la dernière exploitation de la commune, là l’accueil en gîte fait revivre une île d’Iroise… De ces petites pierres, ajoutées à d’autres, naîtra peut-être un nouvel édifice.