Juste quatre fleurs pour évaluer la qualité écologique des prairies

 
Une expérience allemande comme source d’inspiration

Espaces naturels n°20 - octobre 2007

Le Dossier

Philippe Mestelan
Mission agri-environnement - Parc naturel régional du massif des Bauges - SUACI Alpes du Nord
Christine de Sainte Marie
Agro-économiste INRA, UR767, Unité d’Ecodéveloppement, Avignon
 

C’est en Allemagne qu’ils sont allés chercher l’inspiration. Les gestionnaires du parc naturel régional du massif des Bauges ont décliné la méthode « Meka prés fleuris » : la présence de quatre fleurs suffit à déterminer la qualité écologique d’un territoire. Résultats inattendus sur l’implication des agriculteurs. Un protocole qui valorise le résultat plutôt que les moyens déployés.

Dans le milieu des espaces naturels, tout le monde a entendu parler du nouveau programme de mesures agri-environnementales (MAE 2007-2013). On sait moins que certaines de ces mesures privilégient l’obligation de résultats en termes de qualité écologique plutôt que de moyens qui étaient jusqu’alors la règle. Dans le massif des Bauges, cette approche innovante interroge les gestionnaires. S’ils tentent depuis longtemps de sensibiliser les agriculteurs à la biodiversité, ces derniers restent critiques. Est-il possible de s’y prendre autrement, de mieux faire, d’agir plus efficacement, plus pertinemment ? Au cours d’un programme de recherche mené avec l’Inra, la découverte d’une expérience allemande va leur ouvrir une voie nouvelle et leur permettre d’adapter le protocole allemand à la spécificité de leur territoire.
w Vu des Bauges. Leur territoire, disions-nous : dans ce massif rural de moyenne montagne située entre Savoie et Haute-Savoie, l’agriculture est tournée vers la production de fromages de vache et de chèvre distingués par une appellation d’origine (tome des Bauges, Reblochon, Abondance et Chevrotin). L’élevage exploite des prairies de fond de vallées et d’alpage. Ces espaces, qui participent à la qualité des paysages et des milieux naturels réservoirs de biodiversité, sont reconnus comme patrimoine naturel par le parc naturel régional du massif des Bauges et par la directive européenne Habitats faune flore. Cependant, la qualité agri-écologique des prairies naturelles a tendance à se banaliser. En effet, l’avancement des dates de fauche et l’intensification des pratiques de fertilisation entraînent une dégradation de la flore. L’abandon des secteurs difficiles d’exploitation se traduit également par l’enfrichement des parcelles. Tous ces facteurs deviennent alors synonymes d’augmentation de charges d’exploitation et de perte de revenus.
w Vu d’Allemagne. « Obligation de résultats agri-écologiques » : voilà comment peut se résumer la mesure agri-environnementale « prés fleuris » mise en place depuis 2002 dans la région du Bade Wurtemberg, dans le cadre du programme « Meka ». Les différents types de prairies naturelles à forte biodiversité sont primés à hauteur de cinquante euros par hectare et par an. L’originalité de la mesure repose sur son protocole d’évaluation. En effet, le contrôle consiste à observer la présence, dans chaque tiers de la parcelle engagée, d’au moins quatre plantes indicatrices, parmi les vingt-huit que comprend une liste régionale. Ces plantes indicatrices sont des plantes à fleurs, car elles sont facilement reconnaissables par tout un chacun.
Lorsqu’en juillet 2006, le parc naturel régional du massif des Bauges et l’Inra Écodéveloppement d’Avignon se rendent en Allemagne1, c’est d’abord le succès du dispositif qui les étonne. Près de 9 000 agriculteurs de cette région du sud de l’Allemagne se sont engagés dans cette mesure de protection de la biodiversité ! Cette adhésion est due à la simplicité et à la pédagogie de la méthode, mais aussi à la souplesse qu’elle offre aux agriculteurs. En effet, les obligations de moyens sur l’utilisation des parcelles, souvent mal comprises lors d’années sèches ou humides, sont remplacées par des objectifs visibles sur le terrain, qui font appel à la technicité et à la responsabilité professionnelle des agriculteurs. Il s’agit d’une véritable reconnaissance sociale de leur rôle dans la protection de la nature. La pertinence agri-écologique de la méthode de contrôle « Meka » ne peut pas être prise en défaut : la présence de quatre plantes indicatrices, si elles sont choisies de façon pertinente, garantit que les prairies sont en bon état de conservation au sens de Natura 2000. Les prairies primées ont également des valeurs d’usage agricole très intéressantes (valeur fourragère, rendement, souplesse
d’exploitation).
w Adaptation. Adaptée dans le massif des Bauges, la méthode « quatre fleurs » apparaît alors comme une manière simple de définir la qualité agri-écologique des herbages. L’adhésion des agriculteurs s’est d’ailleurs vérifiée, en juin 2007, lors de l’organisation du premier concours de prairies fleuries dans un secteur du parc. Les dix-huit agriculteurs inscrits au concours ont souligné leurs intérêts et attentes vis-à-vis de cette approche qui fait de la biodiversité une production de leur activité.
Ce test, grandeur nature, préfigure la mise en place d’une mesure agri-environnementale « prairie fleurie » sur l’ensemble du territoire du parc. En effet, l’application de cette MAE devrait soutenir les exploitations agricoles productrices de biodiversité et les filières AOC du massif des Bauges. En attribuant au terroir une valeur écologique mesurable et en liant cette qualité écologique à la typicité des fromages de montagne, une telle mesure devrait permettre de conforter les filières dans leur ancrage territorial. La traduction attendue est un soutien politique et social renouvelé à cette agriculture ainsi qu’une valorisation de la « production de biodiversité » dans la commercialisation et l’image des produits.
La mesure devrait également s’accompagner d’amélioration technique au sein des exploitations, en impliquant les agriculteurs et leurs conseillers dans l’évaluation de leurs pratiques à partir d’indicateurs simples. Elle conforte les prairies naturelles, sans pour autant dévaloriser le rôle stratégique des prairies plus intensives autour des sièges d’exploitation.
w Généralisation. Soutenue par la Fédération des parcs, cette MAE a été inscrite dans le plan de développement rural proposé par la France à l’Europe pour la période 2007-2013. En effet, le lien direct entre aide publique et production de biodiversité dans les exploitations va dans le sens de la stratégie nationale et européenne pour la biodiversité. Elle permet donc d’envisager un avenir institutionnel à ce type de mesure. Au regard des nombreuses difficultés rencontrées ces dernières années lors de l’élaboration des contrats agri-environnementaux sur les sites Natura 2000 et dans les parcs en France, la méthode « prés fleuris » fait espérer une appropriation du concept de biodiversité dans l’agriculture pour aborder collectivement les enjeux agri-environnementaux. L’implication des gestionnaires d’espaces naturels dans la définition des résultats agri-écologiques à atteindre doit aussi permettre d’améliorer les relations de travail avec les acteurs du développement agricole.

1. Tous deux travaillent depuis 2005 sur un programme de recherche intitulé « Quelle articulation entre économie de l’élevage et économie de la biodiversité dans le territoire du PNR du massif des Bauges ? ».