Evaluer la pertinence des mesures compensatoires

 
L'entretien

Serge Muller
vice-président du Comité permanent et président de la commission flore du Conseil national de la protection de la nature

Votre rôle consiste à examiner les demandes de dérogation à l’interdiction de destruction d’espèces protégées(1). A quoi êtes-vous personnellement vigilant ? Est-ce que d’autres membres de la commission ont d’autres points d’attention ?
Le critère fondamental d’évaluation des demandes, conformément à l’article L 411-2 du code de l’environnement, est le maintien de l’état de conservation favorable des populations des espèces protégées impactées par le projet. Et plus les espèces concernées sont menacées, plus nous sommes attentifs au respect de ce critère.
Les membres des commissions faune et flore sont également très vigilants à la faisabilité réelle des actions et mesures proposées, que ce soit sur le plan écologique (la restauration totale de certains habitats est souvent illusoire) ou foncier (au niveau de sa disponibilité). Il ne faut pas que les mesures proposées soient uniquement « virtuelles », c’est-à-dire non réalisables.
Nous sommes également très attentifs à la prise en compte des impacts indirects et induits des projets, par exemple au niveau des réorganisations foncières consécutives à la réalisation d’infrastructures routières ou ferroviaires, qui peuvent avoir des impacts aussi importants que les projets eux-mêmes.

Quels conseils pouvez-vous donner aux porteurs de projet pour mieux répondre aux attentes de votre commission ?
Mes conseils peuvent se résumer en trois mots-clés complémentaires : anticiper, globaliser et adapter. L’anticipation consiste à envisager le plus à l’amont possible, sur la base d’une connaissance des enjeux de conservation des espèces concernées et de leurs habitats, la mise en place, concomitamment à l’élaboration des projets, des modalités de la démarche E-R-C. Elle permet donc de limiter les impacts environnementaux des projets et d’anticiper les modalités des mesures de compensation qui pourront être proposées et mises en oeuvre.

La globalisation, c’est-à-dire l’analyse du projet dans un cadre plus large au niveau des enjeux de conservation des espèces protégées et des impacts cumulés des projets qui les affectent, a pour objectif d’appréhender de manière globale le maintien de l’état de conservation favorable des espèces concernées. Au niveau de la flore, cette démarche de globalisation a conduit à la mise en place de « plans locaux de conservation d’espèces », permettant d’anticiper les besoins de compensation en mettant en place des protections foncières, contractuelles et/ou réglementaires, ainsi que des actions de gestion et de restauration. Cela a été le cas par exemple pour l’angélique des estuaires (Angelica heterocarpa) au niveau de la communauté urbaine de Nantes, pour la tulipe sylvestre (Tulipa sylvestris) dans le Diois ou encore la canne de Pline (Arundo plinii) au niveau de la communauté d’agglomération Fréjus-Saint-Raphaël. Cette globalisation peut également être territoriale, à l’image du Port autonome de Marseille qui, sur la base d’un inventaire des enjeux faunistiques et floristiques, a mis en place une politique de préservation des espaces naturels présentant les plus forts enjeux sur son territoire.
Enfin l’adaptation de la démarche permet de prendre en compte de manière appropriée et éventuellement innovante le contexte local de chaque projet en dépassant le carcan rigide des ratios arithmétiques de compensation, qui ne peuvent être que des guides ou de grandes orientations, mais en aucun cas l’assurance d’obtenir un avis favorable du CNPN !

 Lire l’article de Serge Muller dans le dossier « Mesures compensatoires », Espaces naturels numéro 45

(1) Ces demandes sont obligatoirement soumises à l’avis au Conseil national de la protection de la nature, conformément à l’arrêté ministériel du 19 février 2007. Le CNPN donne délégation à son Comité permanent pour se prononcer en son nom et le Comité permanent mobilise à cet effet les commissions faune et flore du CNPN et nomme deux « experts délégués », un pour la faune et un pour la flore. Ils sont donc délégation du CNPN pour formuler des avis sur les affaires courantes au ministre chargé de la protection de la nature.