Quelles méthodes pour appréhender la valeur d’un espace ?
Confrontés à la nécessité de convaincre élus et décideurs de la qualité de leur projet de protection, les gestionnaires d’espaces naturels cherchent à élaborer des argumentaires. Ils les veulent assis sur des études et méthodes scientifiquement valides afin de mettre en évidence la plus-value apportée au territoire par l’espace naturel protégé. Plusieurs typologies de méthodologies sont possibles.
Ces méthodes permettent de mesurer les effets directs et indirects des espaces protégés sur leur environnement économique et social.
• L’enquête de fréquentation et d’attractivité mesure les flux et dépenses des visiteurs.
• L’analyse budgétaire consiste en une analyse comptable des recettes et dépenses de l’organisme de gestion de l’espace protégé.
• L’analyse Input-Output, qui nécessite des statistiques territoriales fines, vise à modéliser le fonctionnement économique d’un territoire et spécialement les flux de richesses qui transitent d’un compartiment économique à l’autre (l’arrivée de touristes crée de l’activité dans la restauration qui achète des poissons aux pêcheurs qui achètent des équipements…).
• L’évaluation des impacts sociétaux est un processus d’analyse, de contrôle et de gestion des conséquences sociales liées au développement d’un projet, telle la création d’un parc national. Cette méthode prend en compte les savoirs et savoir-faire locaux et les méthodes participatives.
• L’impact des écosystèmes sur la productivité économique. On mesure l’impact positif, sur l’économie (amélioration de la productivité, de la qualité), de la disponibilité de biens produits par les écosystèmes : bois, eau douce…
• La comparaison de la place donnée à un espace naturel dans les médias avec les coûts d’insertions promotionnelles dans ces mêmes médias peut être un moyen d’appréhender sa renommée.
Dans cette famille de méthodes, l’évaluation des impôts et taxes prélevés sur l’activité économique imputable à un espace protégé peut rendre compte d’un retour sur investissement aux collectivités territoriales ou à l’État qui s’interrogeraient sur l’intérêt de subventionner un projet de valorisation économique de ce patrimoine.
L’objectif de ces méthodes est de mesurer les préférences sociales des individus en matière d’environnement : elles s’appuient soit sur les déclarations des personnes (préférences déclarées) soit sur les préférences révélées par l’observation d’un marché.
Elles sont bien appropriées pour approcher les valeurs de non-usage (quelle valeur donner à l’existence de l’espèce gorille que je ne rencontrerai jamais) et les valeurs d’usage non monétaires ou aménités (quelle valeur donner au silence, au paysage ou au caractère naturel dont aucun marché ne rend compte ?).
• La méthode des coûts de transport évalue la valeur du bien en s’appuyant sur les dépenses auxquelles les visiteurs consentent pour se rendre sur un site naturel (transport, hébergement, de restauration, temps de trajet).
• La méthode des prix hédoniques (lié au plaisir) conduit, par exemple, à comparer le prix d’un logement avec ou sans vue sur la mer.
• L’analyse des contentieux, et notamment des dommages et intérêts attribués par le juge, révèle la valeur que la société accorde à certains biens naturels détruits par une opération d’aménagement ou une pollution (naufrage de l’Erika).
• L’évaluation contingente suppose d’interroger des personnes qui indiquent leur préférence pour certains biens et services ; et le prix qu’elles seraient prêtes à payer pour les obtenir (consentement à payer).
• La modélisation des choix : les personnes enquêtées sont invitées à faire un choix entre plusieurs scénarios virtuels de l’évolution d’un bien ou service environnemental. L’analyse croisée des réponses entre consentements à payer et consentements à recevoir permet de calculer la valeur attribuée à chacun des attributs du bien (le caractère naturel, le paysage, la possibilité de cueillette…). En admettant qu’un espace naturel soit décomposable en attributs bien identifiés !
• La méthode des coûts d’opportunité traite des gains qu’entraînerait un emploi différent d’une ressource économique par un projet alternatif créateur de richesse. Par exemple, la valeur de l’espace protégé dont la création a été décidée vaut au moins autant que le barrage hydroélectrique auquel on a renoncé sur le même site.
• La méthode des coûts de remplacement : la valeur d’un service environnemental est évaluée par les coûts qu’il faudrait engager pour assurer le même service si le bien environnemental disparaissait (par exemple, construire une digue de protection si la barrière de corail ne protège plus contre les tempêtes).
• La méthode des coûts évités est utilisée pour appréhender la valeur d’un bien environnemental dont les services ne peuvent être remplacés par une technique artificielle, elle évalue donc les coûts liés aux conséquences de l’absence de ce service : l’absence du maintien des sols par les forêts de montagne se
traduit, par exemple à l’aval, par des dégâts urbains (inondations, coulées de boues…) dont on peut estimer les coûts récurrents. Ce type de méthode a permis d’évaluer la valeur des services de pollinisation des abeilles pour l’agriculture mondiale à près de 153 milliards de dollars par an (J.M. Salles).
• Les méthodes spécifiques : les accords internationaux ou les décisions du gouvernement arrêtent la valeur d’une tonne de carbone fixée, et créent un marché de permis à polluer.
• La méthode du prix marchand des attributs considère que la valeur du bien environnemental est la somme des valeurs de ses attributs (ses qualités unitaires) mesurées dans des marchés appropriés (à supposer qu’ils existent). Ainsi, la valeur de l’espace protégé serait la somme de la valeur de la biodiversité, de ses aménités, des services écologiques rendus…
Ces méthodes articulent plusieurs des méthodes précédentes.
• L’analyse des coûts/bénéfices. Cette analyse est une méthode d’aide à la décision pertinente dans un contexte d’évaluation nationale de politiques publiques, pour comparer plusieurs scénarios en concurrence (projet de création d’un parc national sur un bassin-versant versus exploitation systématique de ses ressources hydroélectriques).
• L’analyse des systèmes d’activités permet de percevoir comment un système socio-économique local se transforme et s’adapte sous l’effet de contraintes imposées par la protection de la biodiversité sur un espace (nouvelle répartition des richesses, changement des structures sociales…).
• Les transferts de valeur ou de fonction de valeur. Il s’agit d’une approximation consistant à transférer sur un site donné une analyse de la valeur d’un bien qui a été réalisée par une précédente étude sur un autre site à partir de méthodes d’évaluation non marchandes.
Ainsi, par exemple, la valeur d’existence d’un ours sauvage en Slovénie est supposée applicable dans les Pyrénées moyennant un ajustement prenant en compte les différences de niveau de vie entre les deux régions…
Article inspiré d’« Étude sur les retombées économiques et les aménités des espaces naturels protégés ». Credoc 2008.