Agir pour conserver la flore méditerranéenne

 

Espaces naturels n°15 - juillet 2006

Le Dossier

Frédéric Médail
Institut méditerranéen d’écologie et de paléoécologie Université Aix-Marseille

 

Les régions du globe à climat méditerranéen font partie des trente-quatre points chauds de biodiversité (hotspots) identifiés au niveau mondial. Ces secteurs de concentrations exceptionnelles en espèces dont certaines endémiques sont soumis à de profondes modifications environnementales, puisqu’au moins 75 % de leur végétation considérée comme originelle a été détruite par l’action humaine.
Des enjeux pour les espèces
du climat méditerranéen
Le hotspot du bassin méditerranéen représente moins de 2 % de la surface terrestre du globe, mais il abrite 10 % des végétaux de la biosphère. Sur 11 % du territoire métropolitain, la zone méditerranéenne française concentre environ les trois quarts des végétaux supérieurs de France et la majorité des plantes rares et menacées. Ainsi, les plus forts enjeux de conservation de la biodiversité ne concernent pas uniquement les régions tropicales, mais aussi les
différentes régions du globe soumises à un climat méditerranéen.
La biodiversité du bassin méditerranéen ne se localise pas par hasard, et elle culmine dans une cinquantaine de zones refuges, essentiellement les montagnes et les îles. Épargnés des glaciations, ces territoires furent peu affectés par les phases de refroidissement et d’aridification du tertiaire et du pléistocène1 ; ils abritent des diversités génétiques et spécifiques originales, dont de nombreuses espèces très anciennes (paléoendémiques).
La plupart des scénarios tendanciels indiquent que le bassin méditerranéen sera l’une des régions du globe parmi les plus affectées par les changements climatiques. La vulnérabilité des écosystèmes devrait augmenter avec le déclin de la fertilité des sols et de la disponibilité des ressources hydriques qui favorisent les épisodes sévères de sécheresse, d’où des incendies plus fréquents et intenses. Si l’on considère les espèces, le réchauffement combiné à la sécheresse modifie les cycles biologiques (débourrement, floraison, fructification) des végétaux et des changements complexes de leurs interactions biotiques peuvent survenir (voir figure).
À l’exemple du palmier nain
Les modifications les plus visibles concernent les changements d’aire de distribution des végétaux, avec la progression d’espèces thermophiles en région nord-méditerranéenne. Tel est le cas du palmier nain (voir p. 17), indigène en Méditerranée occidentale et qui s’implante sensiblement depuis une quinzaine d’années sur tout le littoral de France méditerranéenne. Mais cet exemple illustre bien les difficultés que rencontrent les écologues pour identifier les mécanismes responsables des modifications biogéographiques observées : s’agit-il d’une progression naturelle à partir d’individus plus méridionaux dispersés par les vertébrés, ou plus simplement d’une dispersion à courte distance à partir des très nombreux individus plantés dans les parcs et jardins ? Assiste-t-on à une « réactivation » d’anciennes populations indigènes de ce palmier anciennement cité sur le littoral de Provence et Côte d’Azur ? Quelles sont les conséquences de la baisse des usages agro-pastoraux dans cette progression ? Toutes ces questions en suspens oblitèrent la mise en place d’actions raisonnées de conservation de ce palmier protégé en France…
Sans négliger la nature ordinaire
Identifier les cas d’extinctions d’espèces végétales liés aux changements climatiques reste encore plus délicat, mais d’ores et déjà les plus fortes menaces pèsent sur les habitats et végétaux relictuels, comme les marais alcalins des montagnes sub-méditerranéennes du Parc national du Mercantour qui abritent plusieurs végétaux artico-alpins (Carex bicolor, Juncus arcticus) géographiquement très isolés et aux capacités de migration réduites.
Comment alors garantir à la fois la pérennité des écosystèmes méditerranéens et leur biodiversité, face à la puissance et à la rapidité des changements globaux actuels ? Sans négliger la « nature ordinaire », il faudrait se focaliser en priorité sur les zones refuges et leurs périphéries, car ces zones sont à la fois des puits de conservation d’anciennes espèces et des sources d’évolution de nouvelles espèces. Or, les confrontations effectuées montrent que les refuges méditerranéens font partie des territoires les plus menacés par l’anthropisation. À une échelle plus réduite, les écosystèmes et leurs végétaux méditerranéens doivent pouvoir évoluer sous l’effet des changements, climatiques notamment, ce que la plupart des structures actuelles de conservation ne permettent pas, car elles sont peu ou pas connectées en réseau. Les suivis à long terme des dynamiques écologiques et des populations végétales devraient aussi être un axe fort de la politique de gestion conservatoire des espaces naturels protégés, sachant que les persistances locales et les capacités migratoires des végétaux sont très variables et méritent des études au cas par cas. Devant l’inconnu et la complexité des changements biologiques, la mise en place rapide d’une véritable conservation évolutive de la biodiversité méditerranéenne s’impose.

1. Première époque géologique du quaternaire qui dure de 2 000 000 à 10 000 ans av. J-C.