Biodiversité marine, évolution rapide
Espaces naturels n°15 - juillet 2006
Jean Boucher
Ifremer, département sciences et technologies halieutiques.
L’état général de l’environnement marin s’est dégradé plus rapidement que prévu ces dernières décennies. Les scientifiques observent…
0,6 ° C en trente ans. Cette augmentation moyenne de la température est décelable partout, avec plus ou moins d’amplitude.
Dans le golfe de Gascogne par exemple, cette évolution est apparue sur les quinze dernières années. Les premières manifestations du changement ont été l’apparition, dans nos eaux, d’espèces qui y étaient inconnues avant les années 70 et considérées comme cantonnées aux régions subtropicales. C’est le cas des balistes, sérioles, tassergals, saint-pierres rosés qui ont été observés pour la première fois dans les années 70 au Sud Portugal, puis dans les années 80 au large du plateau de Gascogne et, dans les années 90, en Ouest Irlande.
Le phénomène est aussi observé pour des espèces d’algues microscopiques et des crustacés planctoniques. Le copépode autrefois limité aux côtes de Mauritanie est maintenant présent en Manche alors que l’espèce similaire locale (Calanus helgolandicus) s’est déplacée vers la mer du Nord. En fait, toutes les espèces sont concernées par le changement climatique et les effets ne se limitent pas à une extension vers les hautes latitudes des limites de distribution
des espèces. L’évolution de la température coïncide avec différents changements des caractéristiques physiques du milieu fluide (température, courant, agitation…), qui conditionnent le comportement et le développement des individus.
Taux de natalité
Au niveau des populations, ces changements des conditions d’environnement influent principalement sur la survie des stades larvaires et juvéniles, déterminant ainsi leur niveau de renouvellement (le taux de natalité) et, par conséquent, leur abondance. Pour quelques espèces de poissons exploités, les processus écologiques sont maintenant connus. Ainsi, pour la sole, le taux de survie des juvéniles dans les baies côtières dépend de l’abondance des débits fluviaux de fin d’hiver, lesquels autorisent le développement des vers polychètes, proies de ces juvéniles. Pour l’anchois, c’est l’intensité des vents d’ouest printaniers qui détermine la survie des alevins par leur dispersion et celle de leur nourriture (algues phytoplanctoniques). Dans le cas du cabillaud, la régression des taux de natalité, est due à un remplacement du copépode planctonique proie des alevins, par une espèce méridionale moins appétente (Calanus helgolandicus). L’analyse est généralisable à l’ensemble des populations de poissons commerciaux faisant l’objet d’un recensement annuel de l’abondance. Dans la majorité des cas, les variations positives ou négatives de la « natalité » sont étroitement liées aux évolutions des indices climatiques.
Modifier les objectifs de gestion
Le changement global induit par les activités hu-maines se traduit par des changements de la nature des espèces présentes, de leur potentiel de production et du volume de prélèvement, notamment de pêche, qu’elles peuvent soutenir. Ces conséquences nécessitent de modifier les objectifs de gestion et de préservation des ressources et des écosystèmes actuellement basés sur les états antérieurs des ressources. Dans l’immédiat la projection de la tendance observée restera très probablement valide. Mais au terme de cinq à dix ans, établir des prévisions fiables de l’évolution des ressources, dépendra de la maîtrise des connaissances de la dynamique du climat et de la capacité des écologues à appréhender l’évolution des régimes d’équilibre des systèmes écologiques et de leurs probabilités de rupture. Face à l’évolution de la nature, diagnostics et prévisions seront probabilistes. Pour les gestionnaires, le défi sera de pouvoir adapter leurs décisions à cette évolution des écosystèmes et des espèces qui les peuplent.