Flora-Predict

Pour prédire la diversité végétale des prairies permanentes

 

Espaces naturels n°15 - juillet 2006

Études - Recherches

Bernard Amiaud
Maître de conférences ENSAIA-INPL
Frank Pervanchon
Chargé de mission agriculture durable
Sylvain Plantureux
Professeur ENSAIA-INPL

Comment anticiper les effets d’éventuels changements de pratiques agricoles sur la diversité végétale des prairies ? Le laboratoire Agronomie Environnement a mis au point un modèle (Flora-Predict) s’appuyant sur la connaissance du milieu et des pratiques agricoles. Celui-ci a été testé dans divers Parcs naturels régionaux.

Confrontés à la nécessité de préserver la diversité biologique de leur territoire, les gestionnaires de Parcs naturels doivent aussi assurer le maintien de l’activité agricole, laquelle est souvent une composante importante de l’activité économique.
Des mesures réglementaires variées, mises en place depuis les années 1980, sont susceptibles de les aider dans cette tâche. Les dernières en date sont les Contrats agriculture durable (CAD). Or il s’avère que ces mesures posent la question de l’évaluation de l’impact environnemental et agronomique des pratiques appliquées selon les recommandations agri-environnementales. Pour établir leur diagnostic, les gestionnaires usent le plus souvent de bio-indicateurs, mais ceux-ci réclament d’importantes connaissances naturalistes et du temps : autant de handicaps à leur mise en œuvre.
Face à ces constats, le laboratoire Agronomie Environnement a opté pour une approche pragmatique en créant des indicateurs agri-environnementaux1. L’originalité de ce diagnostic de prédiction repose sur sa simplicité puisqu’il s’appuie sur la connaissance acquise des pratiques agricoles et du milieu.
Méthodologie
L’outil mis en place pour prédire les effets d’éventuels changements de pratiques agricoles repose sur l’hypothèse qu’il est possible d’élaborer un modèle mathématique susceptible de prévoir la diversité végétale et la valeur agronomique des prairies permanentes. Cependant, une première série d’analyses permet de constater qu’il ne peut pas s’agir d’un modèle purement statistique construit à partir des pratiques agricoles. En effet, s’il est possible, en tenant compte des facteurs du milieu, en particulier le pH du sol, l’humidité du sol et la température, de modéliser la valeur agronomique de prairies permanentes lorraines2, il s’avère impossible de prédire le nombre d’espèces et la valeur patrimoniale des prairies permanentes. Flora-Predict, le modèle mis au point, est un modèle mécaniste. C’est-à-dire qu’il prend en compte non seulement des données sur les pratiques agricoles mais également les mécanismes de réponse des espèces végétales face aux caractéristiques du milieu. Les premières données sont constituées par le chargement animal, les niveaux d’irrigation, l’absence ou la présence de drainage, les doses d’engrais organiques et chimiques… quant aux facteurs du milieu, ils s’intéressent par exemple à la fertilité azotée et phosphorique, à l’humidité, au pH…
Ce modèle vise à attribuer une probabilité de présence à une espèce végétale en fonction de différents critères déter-minants pour la vie de l’espèce. Par exemple, lorsqu’une espèce végétale est sensible au piétinement des animaux et à la défoliation (prélèvement par l’animal pour son alimentation) et que le chargement au pâturage est faible, la probabilité de présence de cette espèce est estimée maximale. Pour cette même espèce, si le chargement est fort, la probabilité de présence sera assez logiquement nulle (minimum). En revanche, une espèce favorisée par le piétinement et la défoliation aura une probabilité maximale d’être présente si le chargement est fort. Mais si le chargement est faible, cette même espèce a beaucoup moins de chances (mais elles ne sont pas nulles) d’être présente ; dans ce cas, une probabilité de présence de 20 % lui est attribuée.
Démarche de modélisation
L’utilisation de systèmes experts va alors permettre de calculer une probabilité de présence de chaque espèce végétale, quelle que soit la valeur prise par les critères et ce, quelle que soit la combinaison des critères. En effet, ces systèmes intègrent de très nombreuses informations de nature et de quantité variées. Pour clarifier, il faut savoir qu’un système expert est une méthode permettant d’agréger des informations issues de l’analyse de plusieurs critères de nature différentes afin d’obtenir une information unique qui tient compte de chaque critère. On qualifie un tel système « d’expert » car l’information globale est souvent obtenue en consultant les experts du domaine concerné qui doivent donner les conclusions de règles de décision en fonction de chaque critère. Les conclusions s’appuient et résultent de la logique floue ; à savoir, un outil mathématique qui permet de donner une valeur à l’agrégation de plusieurs critères exprimés dans une unité floue, c’est-à-dire non numérique. En d’autres termes, en logique classique, la vérité est entière : un résultat est vrai à 100 % ou faux à 100 %, tandis qu’en logique floue, il peut y avoir des cas intermédiaires de vérité ; on parle alors de « vérité partielle ». La logique floue est donc particulièrement adaptée dans le cadre d’études environnementales où les données quantitatives manquent et où de nombreux critères interagissent. Associer la logique floue à un système expert permet donc d’obtenir des valeurs, donc de prendre des décisions, en fonction de plusieurs critères non commensurables, même lorsque ces critères sont exprimés en données floues (Potet, 1997).
Le modèle Flora-Predict peut ainsi donner la probabilité de présence de 2 912 espèces végétales de prairies permanentes, différentes en fonction des pratiques agricoles et de facteurs du milieu.
Le modèle Flora-Predict permet également de calculer la valeur patrimoniale des parcelles ou des parcours et d’approcher la valeur agronomique des prairies. Parce qu’il permet de nommer les espèces, et d’identifier celles qui ont un statut particulier, il est en effet possible d’identifier, dans la liste prédite, par exemple les espèces à valeur fourragère élevée, et/ou celles qui sont productives car le modèle prédit avec une bonne
performance la présence de graminées et de légumineuses dans les prairies.
Validation
Après validation, il faut reconnaître que la performance du modèle Flora-Predict pour prédire la diversité végétale à partir des pratiques agricoles est encore moyenne. Le modèle est assez satisfaisant en matière de prédiction des espèces de légumineuses et de graminées, cependant, la nature des espèces diverses (autres espèces que graminées et légumineuses) n’est pas prédite avec un degré suffisant puisqu’elle oscille entre 5 et 22 % d’exactitude (tableau page précédente).
La qualité de prédiction du modèle devrait être bientôt améliorée avec les résultats attendus d’une étude complémentaire de calibrage du modèle et un retour sur les hypothèses initialement formulées pour établir les règles de décision. Ces améliorations potentielles sur la portée et la qualité du modèle Flora-Predict restent très liées à la connaissance disponible sur les critères déterminants de la vie des espèces végétales : une limite qui devrait, peu à peu, reculer avec l’avancée des travaux de recherche en cours sur l’écologie des espèces végétales.
Malgré ces constats, les bons résultats obtenus pour les Parcs naturels régionaux du Pilat et des Ballons des Vosges, et ceux pour les graminées et les légumineuses montrent que le modèle est potentiellement utilisable pour prédire des espèces végétales des prairies sur toute surface en herbe du territoire métropolitain.