Préserver les papillons : un travail de fourmis !
Espaces naturels n°58 - avril 2017
Xavier Houard et Raphaëlle Itrac-Bruneau,
coordination du PNA en faveur des Maculinea, Office pour les insectes et leur environnement,
xavier.houard@insectes.org
Pour accéder à la conservation à long terme d’une espèce au cycle complexe, il est parfois nécessaire de mobiliser une connaissance bien plus fine et bien plus pointue sur des espèces dites « hôtes », « affines » ou « commensales »…
Si apprendre à déterminer les azurés demeure relativement abordable, identifier leurs fourmis hôtes est vraiment une affaire de spécialiste. Afin de dépasser cette difficulté, l’Office pour les insectes et leur environnement (OPIE), animateur du Plan national d’actions (PNA) en faveur des Maculinea1, a monté (avec l'Aten, ayant intégré l'AFB) une formation spécifique à destination des gestionnaires. Faisant intervenir conjointement des chercheurs de l’Université de Lyon 1 et des entomologistes spécialistes des fourmis, cette formation a permis aux participants de se familiariser avec l’étude des Myrmica dans le but d’accéder à une meilleure conservation des sites accueillant des Maculinea.
Les Maculinea sont des petits papillons de jour azurés (Rhopalocères – Lycénidés) fragiles et menacés de disparition qui font l’objet d’un PNA. Après s’être nourries au sein de bourgeons floraux, les chenilles de ces azurés doivent être prises en charge, durant leurs derniers stades, par des fourmis, afin de poursuivre leur développement. Au sein de la famille des Formicidés, qui rassemble toutes les espèces de fourmis connues, seul le genre Myrmica remplit ce rôle car les Maculinea ont développé un lien particulier de reconnaissance avec celui-ci. Ce lien est si étroit que si les fourmis deviennent trop peu abondantes ou mal réparties, ou encore viennent à disparaître de l’habitat, les populations du papillon seront fragilisées ou disparaîtront à leur tour. La prise en compte des fourmis est donc incontournable afin de parvenir à une gestion pérenne des sites favorables au maintien des Maculinea.
Actuellement, faute d’une connaissance accessible, la fourmi hôte demeure l’élément le plus méconnu du cycle de ces azurés menacés (peu d'études sur les fourmis, peu de spécialistes de ce groupe en France). La connaissance des fourmis hôtes constitue donc le maillon faible des démarches de conservation déployées en faveur des Maculinea.
Pour fournir les premiers éléments de réponses aux gestionnaires soucieux d’intégrer une connaissance complète du cycle de vie des Maculinea dans leurs mesures de conservation, un protocole d’échantillonnage des fourmis hôtes a été élaboré2. Puis en parallèle, une formation spécifique dédiée à l’identification des Myrmica et à la prise en main du protocole a été proposée aux professionnels.
Au-delà de la simple question de la vérification de la présence d’un Myrmica sur une station, le protocole proposé par le PNA permet d’évaluer les potentialités d’accueil d’un site abritant des individus de Maculinea ou d’un site vacant ou encore d’un site jugé comme potentiellement favorable. Outre la détection des fourmis-hôtes, ce protocole national permet la mise en lumière et la compréhension de certains problèmes de gestion, tels qu’une fauche ou un pâturage inadapté... Il a été conçu pour accéder à l’analyse de la répartition spatiale des fourmis-hôtes au sein de la station échantillonnée, ceci afin de les combiner à leurs préférences écologiques. Car développer les conditions favorables aux fourmis hôtes est la clé pour atteindre une gestion à long terme des populations de Maculinea.
Pour les fourmis, le parasitisme des chenilles des azurés induit un coût sur la production de sexués. La prise en charge de chenilles de Maculinea par ces dernières n’est donc pas sans conséquence. Lorsque les chenilles des papillons sont trop nombreuses pour la capacité d’accueil au sein des fourmilières, la taille des colonies de fourmis peut alors fortement diminuer. Pour que les populations d’azurés perdurent dans le temps, il est primordial de ne pas provoquer de déséquilibre et de veiller à maintenir un réseau fonctionnel de sites favorables. Il faut faire en sorte que les Maculinea puissent parasiter continuellement différentes colonies au cours du temps, sans pour autant provoquer le déclin de la population de leur fourmi hôte. La densité de nids de fourmis hôtes s’avère constituer le principal facteur conditionnant la pérennité des populations de Maculinea.
Ainsi, comprendre l’ensemble de ces mécanismes complexes et pouvoir les transposer dans la conduite de mesures de gestion favorables sont les deux principales finalités de la formation Myrmica, proposée depuis 2015. Elle s'adresse aux professionnels impliqués dans la conservation des Maculinea, allant du technicien de gestion au chargé de mission scientifique. Les axes d’apprentissage sont basés sur la prise en main d’une clé de détermination et des techniques d’échantillonnages déployées dans le protocole du PNA. Les spécimens de fourmis récoltés au cours de la première journée sont ensuite triés puis déterminés dans le laboratoire de la Réserve naturelle des Marais du Lavours.
Ce site exceptionnel permet l’étude des fourmis hôtes de Maculinea tant sur leurs habitats de prairies humides que sur leurs habitats de pelouses sèches. L’identification des ouvrières du genre Myrmica est encadrée par un spécialiste de l’association AntArea (voir encadré). Afin d’accompagner durablement les stagiaires après la formation, chacun des participants repart avec un guide d’identification spécialement développé pour l’occasion et qui reprend l’ensemble des critères nécessaires à la détermination des Myrmica.
Le protocole fait des émules à travers les déclinaisons régionales du plan. Cette initiative innovante a été soulignée comme l’une des réussites majeures lors de l’évaluation du PNA Maculinea.