Tunisie

Le puffin cendré de retour à Zembretta

 
Vu ailleurs

Sébastien Renou
Conservatoire du littoral

 

Cinquante jours de terrain, plus de vingt personnes, quatre nationalités. La dératisation de l’île de Zembretta démontre tout l’intérêt des partenariats internationaux.

Jeudi 25 septembre 2009. La météo est capricieuse dans le golfe de Tunis et l’île de Zembretta reste inaccessible. Techniciens et scientifiques s’affairent cependant au transport de plusieurs centaines de kilos de matériels sur le débarcadère de l’ancien village de vacances désaffecté de l’île de Zembra. Pendant plus de sept semaines, il servira de base aux experts internationaux et éco-ouvriers locaux recrutés pour mener à bien une ambitieuse campagne : venir à bout des rats noirs qui pullulent sur l’île de Zembretta, à trois miles nautiques de là.
Le phénomène est préoccupant. Une importante population de goélands leucophées favorise, par ses déjections, la présence d’espèces végétales nitrophiles à croissance rapide dont les rats font leur nourriture. Espèce invasive, le rat noir modifie fortement la végétation locale et perturbe notamment la reproduction du puffin de Méditerranée qui niche sur l’île en petit nombre.
L’opération va durer cinquante jours. L’île est située au cœur du Parc national de Zembra. Protégé depuis 1977 par le gouvernement tunisien, le territoire est également une réserve de biosphère de l’Unesco. Sa faible superficie (5,5 ha), sa relative accessibilité et sa topographie rendent les conditions propices mais la dératisation de Zembretta n’est pas une campagne anodine. Elle doit servir de modèle à de futures actions similaires en Méditerranée. Outre le fait de tester un protocole scientifique rigoureux, l’intervention vise le transfert des compétences et l’échange des savoir-faire entre gestionnaires d’espaces insulaires méditerranéens.
Tunisiens, Algériens, Libyens et Français coopèrent.
Déjà, en 2007 puis en 2008, deux missions préparatoires menées dans le cadre de l’initiative pour les Petites îles de Méditerranée1 ont permis d’évaluer la faisabilité de l’opération. L’agence de protection et d’aménagement du littoral tunisien Apal a alors opté pour la dératisation. Louis Dutouquet, en charge d’un programme de restauration des îlots bretons pour le Conservatoire du littoral, s’est alors chargé de définir le protocole à suivre. Ce sera celui mis en place à l’Inra par le chercheur Michel Pascal : un piégeage physique destiné à éliminer la quasi-totalité de la population suivi d’une phase chimique pour éliminer les derniers survivants. Cette technique permet une plus faible utilisation de produits toxiques et réduit donc leurs impacts négatifs sur l’environnement (voir encart).

Les premiers jours ne sont pas les plus faciles. Après une séance « théorique », il faut se rendre sur le terrain. Certes, l’île de Zembretta n’est pas loin, une demi-heure en bateau, mais la météo en ce début d’automne offre une mer agitée à forte. Les conditions météorologiques favorisent les échanges et soudent l’équipe.
Asfour (« oiseau » en arabe), gardien de Zembra pendant près de trente ans, et Roger, du Conservatoire du littoral, font équipe. Ils sécurisent les voies d’accès, installent mousquetons, spits, cordes et tracent les sentiers qui serviront à la relève quotidienne des pièges.
Dans le même temps, Louis et Patrick s’attèlent à former Ridha, Bayrem et Hamza, les ouvriers de l’association de sauvegarde du patrimoine environnemental et naturel tunisien aux techniques de piégeage et à la saisie des données. Tandis que Michel et Awatef définissent les mesures à réaliser lors des captures et des dissections.
Au total, presque trois cents postes de piégeage sont installés sur l’île.

Commencent alors les allées et venues quotidiennes pour contrôler et réappâter les pièges. Aux côtés des ouvriers, gestionnaires de sites côtiers tunisiens et collègues algériens, des Libyens et Français viendront rejoindre l’équipe tout au long de la campagne. Cinquante jours sur une île de moins de cinq hectares, sûr, cela crée des liens !

Le vent souffle à plus de 100 km/h. Le zodiac n’est pas sorti et voici plusieurs jours que l’équipe n’a pas de contact avec la base à Zembra. Un campement de fortune a été établi dans l’ancien phare en ruine. Les conditions de vie sont difficiles mais l’équipe tient bon et suit à la lettre le protocole.
Quelques coups de vent plus tard, la mission se termine. Le 16 novembre, alors que plus aucune trace de rat n’a été détectée, il est temps de stopper la manip’. Il ne reste plus qu’à tout remballer et installer des boîtes anti-réinfestation dans les zones les plus sensibles. Mais le doute subsiste. Une dératisation n’est vraiment réussie que lorsque les suivis réalisés au cours de l’année post-éradication confirment leur absence.
En novembre 2010, un an après la campagne, une opération de piégeage est réalisée pendant 5 jours. Ce dispositif léger (30 pièges) permet de confirmer l’absence totale de rat sur Zembretta.
Reste à espérer que les oiseaux marins reviennent nicher sur l’île et que la végétation locale se régénère. Souhaitons bonne chance à l’océanite tempête, ainsi qu’au puffin cendré. Quant au puffin de Méditerranée, de nouveaux cas de nidification ont été observés sur l’île, lors d’une mission de bagage à l’été 2010.

1. Programme international de promotion et d’assistance à la gestion des petites îles de Méditerranée coordonné par le Conservatoire du littoral.