Apprivoiser le silence
Chargée de mission Natura 2000 au Conservatoire régional des espaces naturels du Limousin, Nathalie Le Chalony anime les réunions de mise en œuvre des documents d’objectifs. Dans ce cadre, elle utilise des techniques d’animation dites innovantes.
Vous avez l’habitude de travailler avec des personnes d’horizon et de culture très divers… Vous utilisez des techniques d’animation peu classiques. On m’a parlé de métaplan : de quoi s’agit-il ?
Le métaplan est une technique d’animation comme une autre, aussi avant d’en parler, je veux préciser que pour animer une réunion, il faut, d’abord, la « sentir ». Il faut chercher à savoir quel type d’ambiance, quel type de rapports humains vous souhaitez créer. Je ne cherche pas la même chose dans une réunion administrative, cadrée, et lors d’une rencontre qui réunit des propriétaires ou des exploitants. Une réunion se prépare aussi en amont. Il m’arrive de chercher le contact privilégié et régulier avec une personne ressource, le président d’une association par exemple. J’attends que ce soit lui qui me propose d’aller « manger un morceau » ou de réunir les membres de son association afin de continuer la discussion avec eux.
À l’inverse, lors des réunions programmées, je réfléchis beaucoup sur le lieu et sur la place dans l’espace. Ce n’est pas neutre, un lieu. Dans tel endroit, je verrai tout le monde, dans tel autre je serai en retrait… Je procède à une préparation mentale qui me permet de m’adapter pendant la réunion elle-même. Faut-il rester debout ? S’asseoir autour de la table ? En fonction de l’atmosphère, j’adapte mon comportement.
Ensuite, vous réfléchissez sur la manière de faire ?
Il existe tout un panel de techniques d’animation, je ne les connais pas toutes, mais elles correspondent à des objectifs de production différents. Il m’est fréquemment arrivé d’utiliser le métaplan. Il s’agit d’une technique de petits papiers. Je la mets en œuvre lorsque j’ai des groupes de réflexion thématiques à animer.
Comment cela se concrétise-t-il ?
Récemment, nous avons travaillé sur la gestion des landes du secteur. Je soumets donc la question à mon groupe de travail : que peut-on mettre en place d’un point de vue agricole ? Le monde paysan est-il intéressé pour récupérer ces landes et les mettre en pâture ? Dans quel cadre ? Peut-on s’entendre entre les mesures écologiques et les impératifs agricoles ? L’objectif de la réunion ainsi exprimé, mon rôle est double : intégrer des éléments qui me sont inconnus – en effet, je ne suis pas agricultrice – et ne pas perdre de vue mes impératifs écologiques.
Je demande alors à chacun d’inscrire des mots clés sur des papiers. J’insiste sur la notion de mots clés, et non de phrases à rallonge… Le mot pâturage par exemple est un mot clé.
Je récupère ensuite ces papiers. Je les lis, un à un, et nous essayons de les classer et de les ordonner. Il s’agit de regrouper les mêmes idées. Généralement, la discussion s’engage. Elle permet de faire ressurgir les différents problèmes et surtout d’y répondre. Du papier et un paper board sont nos outils de travail.
C’est une méthode très intellectuelle. Elle impose de s’éloigner du sujet avant d’y revenir. Comment est-ce ressenti par des gens très pragmatiques, comme les agriculteurs ? N’y a-t-il pas un rejet, une incompréhension ?
Cela dépend des groupes. Les professionnels du tourisme, par exemple, sont rompus à ce genre d’animation et cela ne pose aucun problème. Dans une réunion de travail agricole ou forêt, c’est un peu plus difficile. Au début, les gens se regardent, l’air de dire : « Qu’est-ce qu’on fait là, à quoi joue-t-on ? » Dans ce cas, je réexplique le principe, puis je m’écarte, quitte à laisser le silence s’installer.
Un silence qui dure longtemps ?
Deux, trois minutes… Oui, c’est long. Mais je suis persuadée que les moments de silence ont leur importance. J’ai d’ailleurs fait un travail sur moi-même pour accepter ce silence. Au début, c’était franchement difficile, je le vivais comme une agression. Mais j’ai compris que c’est un temps de maturation de la part du groupe et je m’impose de ne pas rompre ce silence. Il se passe toujours quelque chose au bout du compte : soit quelqu’un demande une précision, soit les membres commencent à écrire. Je n’ai jamais eu affaire à quelqu’un qui se lève, mécontent. Finalement, je crois que c’est une forme de respect : une manière de dire au groupe « Vous avez la main ».
Tous ces mots sur des bouts de papier, tous ces concepts en vrac, comment les assembler pour conduire la réflexion ?
Ce n’est pas forcément la partie la plus simple. C’est un exercice sans filet, je suis obligée de faire une synthèse en temps réel. Difficile ! D’autant qu’il faut rester très pragmatique. Je dis souvent : « Concrètement, on fait quoi ? » Je m’attache à faire valider des priorités.
Cela suscite beaucoup de participation ?
C’est là l’intérêt. À chaque idée, il y a des réactions, les gens ne sont pas d’accord et chaque mot est l’objet d’une discussion. Mais je dois aussi gérer le temps, une réunion ne peut pas durer plus de deux heures, au-delà les participants décrochent.
Quelles sont les limites de ce type d’outil ?
Un, l’ampleur de la réunion. Une quinzaine de personnes, c’est un maximum. Ensuite, il faut des thématiques de réflexion assez précises et très concrètes. Ce type d’outil sied à une réflexion collective et contradictoire débouchant sur des décisions. Généralement, c’est une technique qui fait sourire. J’ai quelquefois des petits papiers provocateurs. Dans ce cas, je prends sur moi.
Mais surtout, ce n’est qu’un outil parmi d’autres. Quand je suis avec un groupe socioprofessionnel, comme une association de chasse par exemple, j’utilise d’autres techniques d’animation.
Vous êtes-vous déjà sentie en danger ?
Dans ce type de réunion, on peut facilement se sentir remis en cause. Cependant, j’ai appris à faire le distinguo. Aujourd’hui, je sais que ce n’est pas moi qui suis visée mais l’animatrice ou la procédure sur laquelle je travaille. Cela aussi demande une certaine préparation psychologique.
Quelle est la plus grande qualité de cet outil ?
La démarche pédagogique qu’il suscite. C’est une vraie démarche de formation au sens où elle déclenche quelque chose dans la tête de l’autre. Il s’approprie et mûrit le questionnement. Avec ce type d’outil, la concertation devient une formation collective, susceptible de faire évoluer les pratiques.
Recueillis par Moune Poli