Conflits d'usage

Les préalables à la concertation

 

Espaces naturels n°13 - janvier 2006

Le Dossier

Marc Guérin 1
Chargé de mission au Commissariat général du Plan Chef du département Gestion des territoires - Cemagref Antony

 

Et si les conflits d’usage étaient l’occasion de débattre d’une conception renouvelée de la notion d’intérêt général ? Ils seraient donc le point de départ d’une démarche de construction commune ?

Dans les espaces ruraux, les conflits d'usage s’expliquent d'abord par la dynamique propre à ces territoires. Ainsi, aux côtés du rôle plus classique de production, d’autres fonctions s’affirment. Ce sont des fonctions de résidence (liée au redressement démographique), de récréation, de préservation de l’environnement des espaces ruraux… Elles entraînent une confrontation entre des acteurs dont les intérêts et les représentations divergent. Mais les conflits d’usage reflètent aussi l'évolution générale des rapports sociaux qui se particularisent par une judiciarisation croissante et par la crédibilité déclinante de l’argument de l’intérêt général.
Reconsidérer l’intérêt général
Le mode d’intervention public qui s’est imposé depuis l’après-guerre et jusqu’à ces dernières années reposait sur l’idée d'un intérêt général pré-construit, incarné par l’État, et fondé sur sa capacité d’expertise établie sur le seul registre scientifique. Or, de nos jours, l’expertise opérée par un seul organisme et conduite exclusivement sur le registre scientifique éveille la défiance des acteurs. Les conflits d’aménagement, comme ceux liés à la protection de la nature (définition des périmètres Natura 2000 par exemple), naissent du rejet de ce mode d’expertise et de l’invocation de l’intérêt général. Aussi, les conflits qui apparaissent, notamment à propos des enjeux de protection de la nature, ne sont pas à considérer comme un échec mais, au contraire, comme une occasion de mise en débat de la notion de l’intérêt général. Ils peuvent permettre d’enclencher un processus d'expertise incorporant des savoirs scientifiques mais aussi des points de vue liés à des pratiques. Ce constat conduit à considérer la concertation comme une étape cruciale du processus de décision.
Identifier les points de désaccord
Certes, la concertation correspond à une aspiration croissante de la population, cependant son importance relève également d’autres faits. Elle a une capacité à autoriser les échanges de points de vue dans le but d’établir une expertise associant divers types de savoirs. Pour cette raison, la procédure de concertation, qui peut prendre de multiples formes, doit permettre une expression complète des différentes parties ainsi qu'un réel échange entre les diverses positions et types d’expertises.
Mais, pour que cette confrontation puisse avoir lieu, la démarche doit être organisée. L’organisation vise également à éviter les manipulations, notamment celles que favorisent la proximité trop étroite entre le maître d'œuvre et l’expert officiel.
La reconnaissance de points de vue multiples ne veut pas pour autant signifier que toute idée d’objectivité est abandonnée, sous peine de réduire la concertation à une procédure de légitimation du rapport de force. La procédure doit intégrer cette aspiration à l’objectivité. Cependant, la concertation ne doit pas nécessairement déboucher sur le partage d'un point de vue unique. Au contraire, la concertation qui permet l’identification précise des points d’accord mais aussi de désaccord entre les parties peut être considérée comme réussie.
Bien des questions restent en suspens. Les démarches de participation incluent-elles nécessairement un mécanisme de codécision et ne faut-il pas mieux distinguer ces différentes phases, notamment pour des raisons de responsabilité et parce que tous les éléments de la prise de décision ne sont pas nécessairement en place à l’issue de la phase de concertation ? Dans ce cas, comment éviter, comme c’est parfois le cas, que les décisions adoptées in fine soient très fortement décalées par rapport aux recommandations issues de la phase de concertation ?

1. Cet article reprend quelques éléments développés dans une récente publication du Commissariat général du Plan, Marc Guérin (s.d) Conflits d'usage à l'horizon 2020. Quels nouveaux rôles pour l'État dans les espaces ruraux et périurbains ?, La Documentation française, 2005, 200 p. Cette publication résulte du travail collectif d'un groupe qui comportait des représentants associatifs, des agriculteurs, des élus, des administrateurs et des chercheurs.