Ils ont opté pour la communication engageante
Espaces naturels n°39 - juillet 2012
Robert-Vincent Joule
Laboratoire de psychologie sociale, université Aix-Marseille
Françoise Bernard
Irsic université Aix-Marseille
Didier Courbet
Irsic université Aix-Marseille
Christelle Masclef
Directrice adjointe, CPIE Côte provençale, coordinatrice Écogestes
Multiplier par cinq l’efficacité d’une action de communication en s’appuyant sur la communication engageante. Suivez le guide…
La probabilité d’être fumeur à 17 ans n’est pas moins élevée chez des jeunes ayant suivi soixante-cinq séances de prévention, donc très bien informés et parfaitement convaincus des méfaits du tabac, que chez d’autres élèves n’ayant pas assisté à ces séances. Il ne suffit pas de changer les idées pour changer les comportements !
Voilà pourquoi une campagne visant à promouvoir des écogestes en Méditerranée s’est appuyée sur un autre levier : l’engagement par les actes. Une démarche que les scientifiques nomment : la communication engageante.
D’abord un petit pas. Cette approche s’appuie sur les connaissances élaborées par les chercheurs travaillant dans le champ de la communication et de la persuasion, mais également sur d’autres édifiées par les théoriciens de l’engagement tels Robert-Vincent Joule ou Jean-Léon Beauvois (cf. En savoir plus). Les travaux conduits dans le cadre de la théorie de l’engagement démontrent l’intérêt d’obtenir des « actes préparatoires » (un petit pas dans la bonne direction) de la part du public cible.
Il s’agit d’actions peu coûteuses (au sens de l’effort dépensé) et donc très faciles à obtenir. Elles ont cependant pour effet de prédisposer celles et ceux qui les ont accomplies à réaliser d’autres actes, bien plus coûteux. Et ce, même si on ne leur en fait pas la demande.
Les vertus de l’acte préparatoire. Une recherche, réalisée dans les rues d’Aix-en-Provence, est à cet égard très parlante. Dans une ruelle déserte, un passant (en fait un compère de l’expérimentateur) laisse tomber un billet de banque. Seul 20 % des témoins oculaires lui signifient sa perte, les autres le laissent s’éloigner avant d’empocher l’argent. Il suffit, toutefois, d’un acte préparatoire pour que les choses changent. La probabilité que les témoins se montrent honnêtes est doublée lorsque ces derniers ont été préalablement amenés à rendre un petit service (en l’occurrence : donner un renseignement) à un inconnu (en fait un autre compère). Elle est presque quadruplée lorsqu’ils ont été préalablement amenés à réaliser deux actes préparatoires, et non un seul (donner le même renseignement et faire une trentaine de mètres afin d’indiquer la bonne direction).
Passer aux actes. Les travaux conduits dans le cadre de la théorie de l’engagement montrent aussi l’intérêt qu’il y a à obtenir des engagements précis (à faire ou à ne pas faire telle ou telle chose, en signant, par exemple, une charte ou un bulletin d’engagement) lorsqu’on souhaite favoriser le passage des idées aux actes.
La communication engageante a permis d’augmenter l’efficacité de nombreuses campagnes de sensibilisation, notamment dans le champ de la protection de l’environnement. Ainsi, la campagne Écogestes visait à inciter les usagers de la mer, les plaisanciers notamment, à modifier idées et comportements pour une meilleure préservation du littoral méditerranéen. Subventionnée par le service Environnement et énergie de la région Paca et par l’Ademe, elle unissait les efforts de laboratoires universitaires de recherche et d’associations de terrain. L’objet étant d’améliorer l’impact du dispositif d’intervention utilisé jusque-là par les ambassadeurs du collectif Écogestes Méditerranée.
La campagne Écogestes. La procédure, optimisée sur les bases de la communication engageante, suit les grandes lignes suivantes : les ambassadeurs se rendent en bateau, à la rencontre des usagers de la mer pour solliciter un service. En l’occurrence : aider Écogestes à concevoir des actions de préservation de la Méditerranée plus efficaces et mieux adaptées aux besoins des
plaisanciers.
Dans un premier temps, ceux-ci sont amenés à accepter que les ambasseurs montent à bord pour un échange d’une quinzaine de minutes (premier acte préparatoire), l’ambassadeur sollicite alors leur avis sur les conseils les plus pertinents à donner aux plaisanciers (deuxième acte préparatoire).
Les usagers de la mer sont en fait confrontés à une série d’informations liées à la protection du littoral (l’herbier de posidonie est un maillon essentiel de la vie marine ; il héberge 25 % des espèces de Méditerranée…) pour lesquelles on sollicite leur avis. La diffusion de telle ou telle information est-elle utile ou pas ?
À l’issue de cette phase, les usagers sont invités à accepter la remise d’un livret (troisième acte préparatoire). Cet opuscule regroupe, outre des informations sur la faune et la flore marines, des conseils pratiques pour préserver la mer. Les plaisanciers sont alors invités à signer un bulletin d’engagement. Celui-ci comporte une liste de comportements dans laquelle ils peuvent choisir ceux qu’ils s’engagent à adopter en mer (ne pas ancrer l’embarcation dans l’herbier de posidonie et rechercher des zones sablonneuses, utiliser des savons naturels, utiliser des détergents comportant un écolabel, etc.).
Enfin, s’ils le souhaitent, les usagers peuvent placer le fanion de la campagne Écogestes sur leur embarcation, afin de servir d’exemple.
Et ça marche. Les résultats furent au rendez-vous. Comme attendu, la quasi-totalité des plaisanciers sollicités ont accepté d’apporter leur
aide à Écogestes et ont, au terme de l’échange, pris un ou plusieurs engagements. Mais il y a plus. Les données, recueillies après quelques semaines, font clairement ressortir que ces plaisanciers ont de meilleures connaissances sur le milieu marin et sur la façon de le préserver. Par ailleurs, ils ont adopté des pratiques plus respectueuses de l’environnement. Ils sont par exemple significativement plus nombreux à ancrer dans le sable (75 % vs. 60 %), à utiliser du savon naturel (53 % vs. 39 %) ou des détergents comportant un écolabel (56 % vs. 24 %).
La cible prend un statut d’acteur. La mise en place de toute campagne de sensibilisation suppose que l’on réponde à quelques questions fondamentales : quelles sont les bonnes informations à transmettre ? Quels sont les meilleurs arguments ? Quels sont les canaux, outils, médias les plus appropriés ?
Mais, lorsque l’on recherche des effets comportementaux et non seulement cognitifs, il est essentiel de se poser une autre question : quels sont les actes préparatoires (et, le cas échéant, les actes d’engagement) à obtenir de la part de celles et ceux dont je recherche le concours ?
C’est la prise en compte de ce dernier point qui, en conférant à la cible un statut d’acteur (et, idéalement, d’acteur partenaire avec qui je partage la même ambition), distingue une démarche de communication engageante d’une intervention « classique ». •