Influencer les politiques publiques ?
Espaces naturels n°39 - juillet 2012
Fanny Guillet
Docteure en gestion environnement, chercheure associée au Muséum national d’histoire naturelle.
Comment influencer les décideurs ? Quelle information est capable de faire évoluer les politiques publiques ? La question est fondamentale pour la protection de la nature et les réflexions qui émergent aboutissent à inventer de nouveaux concepts.
Celui de biodiversité par exemple. La nature prend le nom de biodiversité dans les années 1990. Le concept veut amener à la prise de conscience de la richesse des espèces et de leur importance. Les suivis naturalistes, les recherches en biologie et en écologie adoptent alors ce cadre et le vocable trace peu à peu son chemin auprès du public qui se familiarise avec le terme. Ainsi, des engagements politiques sont pris. En 2004, la France adopte une première stratégie nationale pour la biodiversité ; au niveau international, un objectif d’arrêt de la perte de la biodiversité pour 2010 est fixé par la convention sur la Diversité biologique.
Mais les engagements sont peu suivis d’effets et les résultats sont tellement en deçà des objectifs que l’on ose à peine en redéfinir de nouveaux pour une éventuelle phase suivante. Déçus, les porteurs de la protection de la nature jugent leurs efforts vains et perdent foi en la force du concept. Aussi, se mettent-ils à en chercher un nouveau.
Celui de « services écosystémiques » par exemple. Il vise à la conscientisation de notre dépendance aux écosystèmes et de leur potentiel pour des modes de développement durable.
On se pose ainsi continuellement la même question, mais au bout du compte, les changements restent en deçà des enjeux.
Et si on se posait la question autrement, en se demandant pourquoi les changements escomptés ne se produisent pas ? La réponse la plus cynique suppose que les dirigeants fassent appel au développement des connaissances sur la nature pour détourner l’attention des acteurs porteurs de cette préoccupation. Pendant ce temps, ils sont libres de poursuivre des modes de développement destructeurs de l’environnement.
De manière plus réaliste, il faut considérer le rôle, souvent de régulateur, qui incombe aux décideurs : ils doivent arbitrer les demandes de la société et des différents secteurs d’activité. Dans ce « jeu », les porteurs de la protection de la nature font face à des lobbys souvent pourvus d’importants moyens et mieux entendus, car leurs arguments sont en phase avec les agendas politiques court-termistes et les calendriers électoraux.
Une seconde question consiste à se demander si, les changements étant en deçà des attentes, on ne ferait pas mieux de relâcher les efforts visant à informer ces chefs de file ? Évidemment, non ! Trop d’arguments vont dans ce sens. Prenons-en trois.
• Premièrement, il est important que les porteurs de la protection de la nature continuent à occuper une place dans l’espace public où ils sont minoritaires face aux lobbys sectoriels. • Deuxièmement, c’est l’accumulation de données, d’informations et d’arguments qui conduit à la reconnaissance de certains problèmes et à la prise d’engagements en faveur de l’environnement.
• Troisièmement, au moment où les décideurs prennent des mesures, la disponibilité des connaissances et des informations est déterminante pour que la prise en charge soit rapide, augmentant les chances d’une véritable application des mesures.
Pour conclure sur une note positive, il faut convenir que l’on observe depuis une trentaine d’années une montée de la problématique environnementale dans l’espace public, prouvant par là que les efforts ne sont pas vains. Même si ces améliorations sont masquées par le déséquilibre des forces expliquant la poursuite de la dégradation de l’état des écosystèmes. Le constat est une invitation à poursuivre et augmenter les efforts pour renverser le rapport de force. •