Inventorier les insectes pour apprécier l’ancienneté des boisements

 

Espaces naturels n°39 - juillet 2012

Méthodes - Techniques

Benoit Dodelin
Entomologiste, docteur en écologie. Directeur de bureau d’études

 

Chacun souhaite conserver le bois mort, connaître l’ancienneté des boisements et apprécier les menaces qui, sans ces éléments, pèseraient sur la biodiversité. Dans ce but, le gestionnaire se tourne vers des recherches historiques et descriptives : cartes anciennes, indice de biodiversité potentielle, protocoles Frene et WWF. Il examine également les bioindicateurs qui jouent un rôle de premier plan pour détecter et valider des sites d’intérêt.
Avec la fragmentation et les faibles surfaces, le choix se porte sur des indicateurs à moindres capacités de dispersion et de forts liens avec des paramètres clés tels les très gros bois morts ou les cavités d’arbres. Les coléoptères saproxyliques sont alors de très bons modèles. Par définition, ils dépendent d’arbres morts ou mourants pour boucler leur cycle vital.
Certains d’entre eux comme la rosalie des Alpes ou Ceruchus chrysomelinus ne tolèrent pas la disparition d’habitats tels que les gros bois morts. Leur présence pointe donc la continuité temporelle de ces micro-habitats et apporte une information originale sur l’histoire du site.

En pratique, l’élément central de l’étude est le piège vitre (voir photo) qui intercepte les coléoptères lors de leurs déplacements durant la belle saison. En forêt feuillue, des attractifs à base de vin et bière peuvent être employés tandis qu’en forêt résineuse la térébenthine est très efficace. Mais ces produits agissant au-delà de la parcelle, il devient difficile de relier les espèces à l’environnement proche du piège. Ce problème amènera donc à écarter tout attractif, au risque de « rater » quelques insectes.
La variabilité des captures entre les pièges est très forte. On compte généralement de cinq à cinquante espèces par piège sur un site comptant au total quatre-vingts espèces. Ainsi, en deçà de cinq pièges pour trente hectares, on peut ne dresser qu’une courte liste d’espèces et sonder une potentialité.
Pour établir des comparatifs statistiquement solides, il faut travailler sur quatre mois avec au moins dix pièges pour trente hectares. L’échantillon comptera ainsi de mille à cinq mille coléoptères (70 à 160 espèces saproxyliques).

Trier. Vient alors la phase de tri : décompte des coléoptères, tri par famille puis identification.
L’écologie larvaire de chaque espèce saproxylique doit être documentée. Elle s’appuie sur l’analyse des besoins vitaux qui pointe les essences clés, les habitats à favoriser, etc. Le niveau de rareté, croisé avec les exigences biologiques, sert à identifier les espèces patrimoniales. Une volumineuse documentation est nécessaire pour ces étapes (au moins mille références pour la faune de France). Tri et analyse sont donc des affaires de spécialistes si on veut une information maximale.
Connaître l’abondance de chaque espèce par piège est nécessaire pour comparer les peuplements entre eux. Ainsi, dix ans d’études dans le quart sud-est français ont mis en évidence des faunes très typées dans chaque grand type forestier (des forêts boréales aux ripisylves). De hauts-lieux pour la naturalité ont pu être détectés lorsqu’ils renfermaient de nombreuses populations indicatrices. Une vingtaine d’espèces très rares au niveau national ont été signalées après des décennies sans observation.
Le regain d’intérêt pour cette branche de l’entomologie est positif : protection des forêts, avancée des connaissances, montage de bases de données, travaux taxonomiques, professionnalisation des experts, etc. D’importants défis restent à relever. •