Rendre les terres à la mer
Espaces naturels n°39 - juillet 2012
Thomas Hérault
Conservatoire d’espaces naturels de Poitou-Charentes
Le choix de dépoldériser le site de Mortagne profite à la faune et la flore.
Dans la nuit du 27 décembre 1999, une tempête exceptionnelle s’abat sur les côtes atlantiques de la France. Dans l’estuaire de Gironde, les digues d’un polder agricole de 190 hectares cèdent, les eaux envahissent les terres. Des terrains agricoles poldérisés, où était pratiquée une agriculture intensive, ne sont plus protégés des variations de niveau de la Gironde et deviennent difficilement exploitables.
C’est dans ce contexte local difficile que le polder de Mortagne est acquis par le Conservatoire du littoral. Contre toute attente, il décide de ne pas reconstruire des digues, mais de remettre le site à l’état naturel. L’intérêt de cette dépoldérisation contestée apparaît aujourd’hui plus clairement. Les suivis permettent de mesurer l’intérêt pour les milieux naturels et de reconnecter cet ancien polder au milieu estuarien.
L’espace dépoldérisé forme maintenant un système original, sous l’influence des eaux douces et salées, et où alternent une lagune (ou vasière), des prés-salés pâturés ou non et des roselières.
Le site a considérablement évolué sous l’influence quotidienne des eaux salées du fleuve qui s’engouffrent, à chaque marée, dans l’ancien polder par un chenal naturel.
Dès l’ouverture de l’ancien polder, des suivis ont été mis en place par le Conservatoire d’espaces naturels de Poitou-Charentes. Gestionnaire du site depuis douze ans, il mesure, entre autres, les dépôts de sédiments dont le phénomène est primordial dans le processus de reconquête du polder.
Impact. Pendant les années de mise en culture, les opérations d’assainissement, de plantation et de drainage ont tassé le sol du polder, interrompant ainsi la sédimentation : en 2001, des relevés topographiques montraient un abaissement de 90 cm par rapport au niveau des prés-salés et des roselières qui l’entourent. A contrario, la sédimentation a repris depuis l’ouverture du polder à la mer, avec environ 55 cm entre 2006 et 2012.
Ces changements, associés à l’ensemencement (via une banque de graines), ont réactivé la dynamique naturelle de la végétation et modifié sa structure. Cultivé en tournesol et en maïs avant la tempête de 1999, le polder est dorénavant marqué par un étagement de la végétation, caractéristique des marais estuariens de la côte atlantique.
La salinité, qu’elle résulte de l’apport des eaux du fleuve ou du substrat argileux présent dans le sol, favorise l’apparition de plantes halophytes et sub-halophytes vivaces. Ainsi, on a pu constater le retour d’une végétation initialement présente dans ce marais et composée notamment de salicorne, de scirpe maritime et de roseau commun. On peut également noter un étagement topographique de la végétation (groupements hygrophiles, hygromésophiles puis mésophiles) en fonction des microreliefs liés à la reprise de la sédimentation.
Et c’est précisément ces phénomènes de reprise de processus naturels qui rendent l’ancien polder si riche au niveau biologique, autant pour la flore que pour la faune.
L’association Biosphère environnement (1) étudie depuis 2006, la migration postnuptiale des passereaux paludicoles sur le site, par le biais du baguage. Les premiers résultats illustrent l’importance des ressources trophiques disponibles ainsi que le rôle fondamental de ce type de milieux pour les passereaux paludicoles.
Une grande partie du site étant en vasière, de nombreux limicoles (2) utilisent cet espace pour leur halte migratoire. Ainsi, la population d’avocette hivernante est passée de 0 individu en janvier 2001 à 1 300 en janvier 2011.
Cette zone a donc été rapidement colonisée par une végétation typique des milieux estuariens, une avifaune extrêmement riche et en constante évolution.
La faune aquatique bénéficie également de ce retour aux milieux naturels, comme le montre une équipe d’Irstea (Cemagref) qui, depuis 2010, travaille sur la faune piscicole vivant sur l’ancien polder. Les premiers résultats sont en effet étonnants : ils montrent que ces populations présentent une diversité comparable aux marais naturels d’Europe occidentale et constituent une zone de nourricerie pour les poissons de l’estuaire.
Peu courant. Une opération de ré-estuarisation du type de celle effectuée sur le polder de Mortagne est peu courante en France, du moins sur un site de cette superficie. La valorisation de cet espace est intimement liée au maintien de différents milieux humides : vasières, bras morts, roselières, alternance des végétations hautes et basses, dépendant d’un fonctionnement hydraulique cohérent à l’échelle de l’estuaire et d’une gestion raisonnée et concertée des milieux. •
1. www.biosphere-environnement.com • 2. Espèce vivant dans les terrains marécageux, sur la vase.