Stop au ratissage systématique des dunes
Espaces naturels n°11 - juillet 2005
Guillaume Lemoine
Chargé de mission - Département du Nord
Le nettoyage régulier des plages conduisait à la destruction d’espèces d’intérêt patrimonial. À l’initiative du Département du Nord, une gestion plus durable a été adoptée.
Algues, bois flottants, cadavres d’animaux, résidus de pontes… tous ces matériaux relâchés par la mer s’accumulent sur le sable et constituent les « laisses de mer ». Sources de matière organique, elles viendront nourrir une faune importante de vers, crevettes, micro-organismes. Mais ces matériaux forment également un bon engrais pour une végétation caractéristique de coquillier maritime, de soude, d’arroche, qui affectionnent l’azote et qui tolèrent le sel (espèces halonitrophiles).
Lors, vient le vent… Il accumule du sable, bientôt colonisé par une nouvelle plante : le chiendent des sables ou agropyron à feuilles de jonc. Accentuant le piégeage du sable, cette plante permet la formation de dunes embryonnaires.
Laisses de mer, dunes embryonnaires… Voilà donc des habitats remarquables. Or ceux-ci sont menacés à l’échelle européenne, principalement du fait du ratissage des plages pratiqué par les communes balnéaires. Aussi, depuis dix ans, une protection a été mise en place, sur l’estran du littoral du département du Nord (à proximité immédiate de la frontière franco-belge). Elle concerne les hauts de plage des dunes du Perroquet (250 ha) et Marchand (110 ha), sur les communes de Bray-Dunes et Zuydcoote, propriété du Conservatoire de l’espace littoral (1,5 km de linéaire).
La fin du ratissage systématique
L’initiative du Conseil général du Nord, gestionnaire des dunes bordières, visait à réduire, puis arrêter le nettoyage régulier de la plage. De mai à septembre en effet, l’ensemble de l’estran était ratissé chaque semaine à l’aide de tracteurs équipés de griffes. La fréquence du ratissage augmentait en période estivale avec une intervention matinale journalière.
Le Département attira donc l’attention du Syndicat intercommunal des dunes de Flandre (responsable du nettoyage de l’estran) sur l’intérêt patrimonial des habitats des hauts de plage. Une réduction des linéaires concernés par le ratissage fut alors entreprise. Seules les portions face aux communes balnéaires subissent encore un entretien intensif (une bande de propreté de cent mètres supplémentaires de chaque côté des digues est également incluse dans ce périmètre).
En revanche, l’ensemble de l’estran, situé parallèlement aux massifs dunaires en gestion départementale, fait l’objet d’une gestion plus douce. Les ratissages n’ont plus lieu et, seuls les plus gros déchets apportés par la mer sont ramassés tous les quinze jours par une association d’insertion sociale (Écoflandres) 1 ou par l’équipe départementale qui contrôle à cette occasion l’état du cordon dunaire.
Au début de l’expérience, il advint que le nettoyage des plages reprenne au printemps. Mais des opérations de sensibilisation permirent de convaincre les gestionnaires d’abandonner totalement toute intervention mécanique au niveau des plages gérées écologiquement. Cette réalité dure aujourd’hui depuis sept ans.
Un engraissement spectaculaire
Malgré le côté fragmentaire de ces habitats, des relevés ont montré leur forte augmentation spatiale, dès la seconde année d’intervention. Aujourd’hui, bien que difficilement quantifiables, ces habitats recouvrent de façon homogène le haut de plage. Ils sont très importants sur six cent mètres linéaires et sur quinze à vingt mètres de large face aux dunes Marchand et du Perroquet. Certaines laisses de mer, plus abritées dans la dune du Perroquet, ont permis l’installation de la betterave sauvage.
L’utilité de la démarche est également faunistique. La présence de dépôts réguliers d’algues et de débris végétaux au niveau des laisses de mer permet d’espérer le retour de nombreux invertébrés des plages.
Quant au coût de l’opération, il est quasiment nul. Des économies sont même réalisées avec l’arrêt du ratissage. Ce type d’action est bien sûr reproductible. Il a également permis un très important engraissement du haut de plage en sable, ralentissant voire inversant la tendance ancienne du recul généralisé du trait de côte de cette portion de rivage.
Le retour des formations embryonnaires a également un attrait pédagogique. Elle permet de
montrer à un public nombreux, lors de visites guidées, la formation des massifs dunaires, les phénomènes de sédimentation éolienne, la géomorphologie littorale et l’organisation des différentes phytocoénoses dont les séquences sont maintenant présentes de l’estran aux dunes boisées.
1. Financée, pour cette mission, par le Conseil général.