Forêts tropicales humides :

 
comment s’est élaboré le livre blanc…

Espaces naturels n°13 - janvier 2006

Vu ailleurs

Stéphane Guéneau
Institut du développement durable et des relations internationales

 

Comme son nom l’indique, il est blanc… c’est-à-dire vierge de toute obligation. Cependant, le livre sur les forêts tropicales humides existe désormais. Il prône des recommandations sur les orientations politiques françaises en matière de politique forestière dans les forêts tropicales. L’auteur, chargé de programme à l’Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri) a coordonné la rédaction de ce livre blanc, ouvrage à paraître à La Documentation française.

En 2002, le gouvernement français décide de créer un groupe de travail national sur les forêts tropicales humides. Cette décision répond à une préoccupation exprimée notamment par les mouvements écologistes lors d’une conférence de la convention sur la diversité biologique en 2002 à La Haye. Ils y dénonçaient l’absence d’engagement fort de la France dans la lutte contre le recul des forêts tropicales.
Dans ce domaine pourtant, le rôle de la France est déterminant. Notre pays possède en effet, une très vaste forêt tropicale (le massif de la Guyane), il est par ailleurs importateur européen de bois tropicaux de premier plan. On n’omettra pas non plus qu’il entretient des relations de coopération historiques avec l’un des trois principaux massifs forestiers de la planète, celui du bassin du Congo.
Les ministères des Affaires étrangères, de l’Écologie et de l’Agriculture ont donc été sollicités pour participer à un organe consultatif informel destiné à éclairer
la décision publique et à le piloter conjointement. La composition de ce groupe reste cependant ouverte et son fonctionnement favorise la libre expression des participants.
Concerter pour construire une politique
Une telle initiative peut être considérée comme un modèle original de construction des politiques. Deux raisons à cela : du fait des intérêts divergents exprimés par les différents ministères, mais également de par son ouverture possible à d’autres acteurs intéressés à la question. Cette démarche permet en effet de rétablir un dialogue souvent rompu entre les acteurs, de clarifier les points de vue de chacun, de lever les incompréhensions qui sont souvent à l’origine des tensions entre parties prenantes, d’anticiper les conflits et enfin, de servir de guide pour l’élaboration des politiques. En termes de gouvernance, cet exercice présente des avantages certains. En effet, sur ces sujets, la prise de décision de l’État est complexe et souvent controversée. À la fois parce que l’intérêt public est particulièrement marqué et que les incertitudes sont fortes. La création d’espaces de dialogue permet ainsi d’enrayer les controverses et d’orienter les politiques au plus près des intérêts de chaque partie prenante. Les nombreux débats qui ont animé le groupe de travail ont ainsi permis de faire émerger les points de divergence entre les différents acteurs et d’établir un constat partagé et plusieurs recommandations. Ces éléments ont été synthétisés au sein d’un livre blanc dont l’objectif est de servir de point d’appui à l’élaboration et à la gestion des projets de coopération dans le domaine des forêts tropicales. En outre, la portée de ce document n’est pas limitée au seul secteur public : les actions des organisations non gouvernementales et du secteur privé devraient également s’y référer.
Les acteurs du Congo partiellement associés
Toutefois, cet exercice n’est pas sans limite. Les discussions ont principalement porté sur les forêts d’Afrique Centrale, zone d’intervention prioritaire de la France, et sur les forêts françaises d’outre-mer. Pourtant, dans certains pays tropicaux, le recul des forêts est particulièrement marqué alors même que leur biodiversité est exceptionnelle. Dans le contexte de mondialisation actuel, il s’avérerait également utile d’explorer le rôle des pays émergents dans la gestion et la conservation des ressources forestières. La demande croissante en bois de certains grands pays comme la Chine pourrait en effet avoir un tel impact qu’elle nuirait fortement à l’efficacité des actions recommandées dans le livre blanc.
L’incomplétude de la consultation est également à signaler. L’objectif était d’afficher les positions des acteurs français, mais les représentants locaux – en particulier du bassin du Congo – n’ont été que très partiellement associés aux débats. Pourtant, les quelques rencontres auxquelles des experts africains ont été conviés ont montré que c’était indispensable. Ils permettent en effet de faire remonter une information essentielle sur la situation locale, de partager les éléments de diagnostic avec les parties prenantes françaises et contribuent à anticiper sur l’effectivité des mesures que le groupe de travail préconise. Pour chaque thème de travail, un débat sur les constats et recommandations du groupe de travail avec des acteurs locaux aurait été profitable. Par manque de temps et de moyens, cette interaction n’a, hélas, été que partielle. Pour les mêmes raisons, la consultation sur les forêts françaises d’outre-mer s’est effectuée essentiellement à distance, par l’intermédiaire des préfectures. Et la très grande sensibilité de cette question n’a pas non plus plaidé en faveur d’une concertation plus ouverte.
En outre, le processus de consultation a été lent et a demandé un investissement lourd, alors que la durée de vie du livre blanc sera forcément réduite, compte tenu de l’évolution des problématiques forestières. Le groupe de travail a connu un certain essoufflement, si bien que des sujets comme celui de la gouvernance forestière – pourtant fondamental – n’ont pas été correctement traités faute de mobilisation suffisante des parties prenantes.
Il importe désormais de veiller à ce que les recommandations exprimées dans le livre blanc se traduisent en actes politiques, ce que le processus de consultation ne garantit aucunement. In fine, si le livre blanc a permis de tracer les grandes orientations de la politique française en matière de forêts tropicales, il reste à dégager des moyens permettant de les suivre…