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Les vertus de la fabrication d’outils

 

Espaces naturels n°13 - janvier 2006

Pédagogie - Animation

Jean-Pierre Vigouroux
Association Les Écologistes de l’Euzière

 

Depuis trente ans, « Les Écologistes de l’Euzière » pratiquent l’animation nature auprès de publics variés. Ils sont formels : c’est sur le terrain plutôt que dans les livres que s’opère la découverte de la nature. Première étape pour explorer : fabriquer ses propres outils.

Loupes, jumelles, filets troubleau1 ou à papillons, aquariums, boussoles, thermomètres, pièges… La panoplie du naturaliste regorge d’outils dont la fabrication et l’usage s’avèrent très motivants et formateurs pour les enfants de 4 à 99 ans. Pour l’animateur-nature, ces outils d’exploration, de mesure, de découverte, sont donc autant d’auxiliaires pédagogiques fondés sur une approche de terrain, concrète et réaliste !
Fabriquer, c’est tout un art
Fabriquer un outil, c’est déjà se l’approprier. C’est aussi apprendre à faire preuve de patience, bidouiller, bricoler, suivre un plan de montage ou l’adapter. Et encore : comprendre comment ça marche, sur quel principe… Curiosité technologique, innovation et créativité (ou, à l’inverse, stricte application de recettes qui marchent), autour de ces apprentissages s’instaure souvent une relation de maître à apprentis, riche et chaleureuse. « Non, ça, ça se met là, tu vois ? Et du coup, ça peut tourner… » (l’anémomètre).
En soi, la construction d’un outil est une activité motivante à condition qu’elle ne soit ni trop longue ni trop difficile ! C’est à l’animateur de s’en assurer. Le temps consacré à une telle séquence, et sa place dans une animation plus longue (deux heures, un jour, une semaine ?), doivent être mûrement réfléchis pour que la réussite et le plaisir, premiers facteurs de motivation, soient au rendez-vous.
Utiliser…
Un outil, c’est utile et ça s’utilise. Une fois qu’il est construit, ou acheté, c’est le début de l’aventure. Et que je te capture des insectes à « coups » de filet fauchoir, et que je te mets la larve de libellule dans un aqua-kit pour mieux l’observer, et que je prends tout ça en photo numérique que l’on pourra visionner au retour… Mille observations (ou un peu moins !), mille relevés, mille informations, émerveillement, surprises, interrogations…
Pour l’animateur, là encore, il y a un enjeu, voire plusieurs : choisir le bon outil (celui qui correspond à l’usage que l’on veut en faire) et apprendre à bien l’utiliser.
Dans les camps nature ou les classes transplantées, nous mettons en place, très tôt, un atelier de présentation des principaux outils et d’initiation à leur maniement. Il s’agit d’une véritable activité qui concerne tous les enfants et non d’une simple démonstration qui ne répondrait guère aux objectifs éducatifs fixés. Les jours qui suivent, et selon les milieux explorés (forêt, pelouse, mare, tourbière…), nous poursuivons cet apprentissage et introduisons, le cas échéant, l’utilisation de nouveaux outils. Dans ce cas, il s’agit surtout d’instruments proposés aux enfants « clés en main » ou d’outils de fabrication quasi-immédiate (l’aqua-kit par exemple).
En effet, la découverte doit être la plus large possible : aussi bien en termes de thématiques (différents milieux, insectes, oiseaux, plantes…) que de sensibilités individuelles ou d’outils. C’est là une phase d’immersion et de contact avec le site, avec la vie du camp et les possibilités offertes par ce contexte.
… Et se mettre en projet
Le fait de manipuler, farfouiller, expérimenter, procure en général une satisfaction immédiate. De nombreux enfants sont prêts à renouveler plusieurs fois des séances de capture de petites bêtes. Ne boudons pas leur plaisir, il se pourrait bien que la prédation soit facteur de vocations naturalistes ! Autour de ce plaisir immédiat se situe un second enjeu d’importance pour l’animateur/éducateur : faire en sorte que l’enfant/ado trouve des éléments qui le conduisent à de nouvelles interrogations et aux moyens d’y répondre. Il s’agit pour lui de mettre en forme les données recueillies par l’observation et l’expérimentation, afin de progresser dans sa connaissance du monde. Approche intellectuelle ? Pourquoi pas. Mais également approche cognitive, réflexive, méthodologique… Imaginer de nouvelles explorations, de nouveaux relevés, de nouvelles expériences. Faire appel à de nouveaux outils. Se mettre en projet… Le mot est lâché !
Se mettre en projet, c’est agir, non plus dans l’instant, mais avec un but. C’est être actif, mais aussi être acteur.
Dans les camps-nature, après la phase de contact-immersion de quelques jours, nous animons une séquence qui aboutit à la création de petits groupes qui vont réaliser leur propre projet de découverte : les araignées, la mare, les traces et indices de présence… Ces petits groupes se constituent en fonction des centres d’intérêt des jeunes, de ce qui les a le plus motivés (et, bien sûr, des affinités électives entre personnes). L’animateur accompagne le groupe dans sa démarche, le guide, l’aide à s’organiser. Ici, les nouveaux outils et instruments éventuellement utilisés sont déterminés par la thématique et l’orientation du projet. L’animateur est force de proposition, il porte à la connaissance des jeunes telle ou telle méthode et les aide à la mettre en œuvre (utilisation du filet surber 2 pour la microfaune des rivières, fabrication d’un appareil à mesurer la hauteur des arbres…). Les conditions sont réunies pour une véritable pédagogie de projet.
Mais, bien souvent, les contextes d’animation (rencontre d’une classe sur une demi-journée par exemple) ne permettent pas une telle pédagogie.
L’animation est alors un tout cohérent inscrit dans un temps court. Les outils sont au service d’une démonstration. Dans ce cas, les données recueillies par la « manip » doivent être mises à profit tout de suite et aboutir à une mini-synthèse des observations et des réflexions individuelles. Discussion autour de la qualité de l’eau à partir d’un indice biotique simplifié, réalisé par les enfants par exemple… Mais l’animateur aura toujours le souci de mettre chacun en projet dans sa tête. Ainsi, il voudra que chacun reparte avec un étonnement, une nouvelle perception, une nouvelle compréhension qui l’invite à rebondir, à aller plus loin.
Y a des allumettes au fond de leurs yeux
Provoquer l’étincelle. Voilà peut-être l’ambition de l’éducateur. Les outils ne sont pas une fin en soi, mais ils sont susceptibles de contribuer à l’apparition de cette étincelle, à cette rencontre à la fois sensible et rationnelle entre l’individu et la nature. L’alchimie de l’animation, l’interaction entre le milieu naturel, l’animateur et le groupe, comptent tout autant. Et c’est justement en mettant en jeu les méthodes d’animation, en proposant les activités et les outils ou instruments les plus aptes à susciter une émotion et un réel plaisir, que l’animateur peut espérer provoquer cette étincelle.

1. Filet très robuste conçu pour fouiller le fond des mares, rivières…
Il remue la vase, d’où son nom (troubleau).

2. Le filet surber sert à prélever des animaux vivants dans les eaux courantes.

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