Le pari de la Tour du Valat

 
Gestion concertée et collective d’une zone humide

Espaces naturels n°23 - juillet 2008

Aménagement - Gouvernance

Nicolas Beck
Tour du Valat
Lisa Ernoul
Tour du Valat
Coralie Hermeloup
Tour du Valat

Concertation et co-construction sont de plus en plus recherchées. Depuis les années 90 en effet, les projets de conservation et de gestion des espaces naturels intègrent la population locale dans les processus de décision. Dans les faits, cependant, les exemples de succès restent limités et la majorité des projets demeurent au stade de la consultation et l’implication réelle de la population reste faible. La Tour du Valat, qui est un centre de recherche pour la conservation des zones humides méditerranéennes, a pourtant fait le pari de développer un tel projet en Camargue. Quatre années d’expérience autorisent un premier bilan.

Le projet débute en 2003, la Tour du Valat propose aux villageois d’un hameau de Camargue (550 habitants) de cogérer un marais dont elle est propriétaire. Seul cadre imposé : les activités développées doivent respecter les enjeux environnementaux et privilégier le multi-usage. En accédant à cet espace naturel auparavant fermé, les villageois pourront en bénéficier pour leurs loisirs comme pour l’exploitation des ressources. Un processus associant propriétaire, villageois, scientifiques et acteurs locaux (éleveurs, chasseurs…) doit permettre de définir les objectifs de gestion du site.
Le cycle du projet. La réussite du projet repose notamment sur sa méthodologie caractérisée par la recherche d’implication croissante des habitants. Dans un premier temps (en mai de la même année), les villageois sont invités à remplir un questionnaire pour faire part de leurs souhaits sur le devenir du site. La présentation des quatre-vingt-dix activités évoquées donne lieu à une réunion publique qui permet de « repérer » des habitants motivés. Ceux-ci sont alors sollicités pour former des groupes de travail qui analyseront la faisabilité des activités et proposeront des objectifs à moyen terme. Pour ce faire, les groupes choisissent de travailler en suivant le schéma appliqué à la gestion intégrée des zones côtières1. Trois phases caractérisent ce processus (figure 2) :
• Une phase préliminaire d’identification des acteurs, du contexte, des problématiques, des atouts et des contraintes. Elle débute par la réalisation d’un diagnostic écologique, complété par un diagnostic socio-économique (sur la base d’entretiens et de recherches bibliographiques). Des soirées de projection, café historique, sorties sur le terrain… sont ainsi organisés qui permettent de retracer la mémoire collective du site.
• Une phase de préparation et d’élaboration des objectifs. Lors de cette étape, trois groupes de travail traitent respectivement des activités récréatives, pédagogiques et celles liées à l’exploitation des ressources naturelles. À ce stade, les groupes formulent des propositions d’activités et déclinent les opérations nécessaires à leur mise en œuvre. Il leur est demandé de prendre en compte les atouts et contraintes du site.
Pour aider les villageois à clarifier leurs objectifs, des visites sur le site ou les chantiers sont régulièrement organisées. Loin d’être anecdotiques, ces visites se sont révélées capitales : ce sont elles qui, véritablement, ont permis l’appropriation du projet par les villageois.
• Une phase de mise en œuvre (recherche de fonds, montage institutionnel, formation, études, suivis).
À l’issue de cette phase (2004), l’ensemble des objectifs et des activités est synthétisé en un plan de gestion simplifié. Document de référence (pour la durée impartie de trois ans), il précise les opérations à mettre en place. C’est d’ailleurs à cette époque, au début de la mise en pratique des activités que naît le souhait de
créer une structure de gestion propre au site : l’Association des marais du Verdier.
L’implication croissante des villageois. Dès le début de la démarche, les habitants rêvaient davantage d’un projet de village que d’un projet de site : ils souhaitaient des retombées sociales et économiques. À l’époque, une dizaine de personnes participaient à chacun des groupes de travail mensuels. Ainsi, petit à petit, l’implication des villageois va croissant ; en 2005, un observatoire est construit, un troupeau de 40 vaches Camargue pâture sur le marais ouest, des conventions d’herbages sont signées avec des propriétaires de chevaux, la chasse est pratiquée sur un des bassins et un sagneur vient exploiter le roseau. La mise en œuvre collective d’actions comme la construction d’une passerelle d’accès ou encore la restauration d’un lieu de vie (le Cabanon) contribuent encore à augmenter l’appropriation du site par les habitants du village.
Quand l’ensemble du site est rendu accessible aux promeneurs, des suivis écologiques sont même mis en place impliquant des bénévoles du village, désormais familiarisés avec les méthodes d’inventaire (les données recueillies permettent d’apprécier l’impact de la gestion sur les milieux, faune et flore). En 2007, une étudiante, qui évalue le projet, démontre d’ailleurs son impact favorable en termes de renforcement de liens sociaux. 
Plusieurs autres points attestent d’une appropriation collective : le nombre d’adhérents a régulièrement augmenté (à ce jour, 47 habitants sont membres de l’association, soit un foyer sur trois). Vingt à trente personnes assistent aux animations. Le nombre d’heures de bénévolat est important (de 301 à 480 h/an) si on le rapporte à l’effectif des personnes impliquées.
Enfin, de nouvelles demandes sont régulièrement formulées. Les promeneurs ont dépassé 1 000 personnes en 2007. La période initiale d’attentisme est terminée : le bouche à oreille fonctionne et la satisfaction des villageois est générale.
À quel coût ? Le projet est démonstratif, il convient cependant d’aborder la question de son coût qui, dans ce cas précis, incombe à une structure privée ; la Tour du Valat ayant assuré la prise en charge des investissements mais également du fonctionnement. Qu’en est-il donc ? Dès 2003, la démarche a mobilisé un chef de projet et un animateur, tous deux à temps partiel. Par ailleurs, et selon les thématiques abordées, d’autres compétences de la Tour du Valat ont été sollicitées (socio-économistes, naturalistes, scientifiques…). Les budgets annuels de fonctionnement sont compris entre 50 000 et 83 000 euros pour un équivalent de 120 à 210 jours (figure 1). Depuis 2004, la majorité des coûts est imputable à l’animation.
Par ailleurs, le propriétaire (souhaitant une mise en œuvre rapide des actions) a mis à disposition de l’association, du matériel et des fonds permettant aménagements, révision des ouvrages d’infrastructures, signalétique, portails… Cet investissement annuel supplémentaire est compris entre 19 000 et 30 000 euros.
Aujourd’hui, cinq ans après le lancement, l’animateur mis à disposition par la Tour du Valat reste très fortement mobilisé (mi-temps ou trois quart-temps) pour la conduite des réunions (une à deux par mois), l’organisation des événements (mensuels), la mise en œuvre des chantiers (hebdomadaires), les demandes de subvention et les réponses aux appels à projets.
Fin 2007, le nombre de réunions approche la quarantaine. Ainsi, l’implication permanente de l’animateur conditionne toujours fortement la mise en œuvre conjointe des chantiers, la bonne réalisation des actions et l’implication élevée de certains des villageois.
Pari gagné ? Le projet a insufflé une dynamique et la gestion participative est réelle. L’appropriation du site est forte, le multi-usage effectif et la satisfaction des habitants paraît générale. Certains conflits d’usage ont pu être expliqués et semblent intégrés dans les échanges. Cependant, le fait que le projet soit encore porté par l’animateur de la Tour du Valat ne facilite pas le transfert des responsabilités. Les personnes se reposent sur ses compétences (techniques, oratoires, humaines, etc.) et lui témoignent une grande confiance. S’il est légitime que le propriétaire pérennise son investissement, une réflexion devra être menée pour accroître l’implication des habitants et des usagers du site dans le fonctionnement de l’association.

1. Des outils et des hommes pour une gestion intégrée des zones côtières, vol. II, J. Denis et Y. Henocque, Unesco, 2001.