Maroc - Algérie

Réalités sur la mise en place d’une gestion intégrée des zones côtières

 

Espaces naturels n°32 - octobre 2010

Vu ailleurs

Lisa Ernoul
Tour du Valat
François Mesléard
Tour du Valat
 

Gérer les zones humides sensibles dans une approche de gestion intégrée et mettre en place un plan de gestion... L’expérience conduite entre 2005 et 2009 se déroule à la fois au Maroc et en Algérie. Leçons…

Les deux sites pilotes se situent au Maghreb. En 2005, une équipe de la Tour du Valat est missionnée pour doter d’un plan de gestion la zone humide de l’embouchure de la Moulouya, au Maroc, et celle d’El Kala, en Algérie.
L’approche veut être celle d’une gestion intégrée1. Il s’agit donc, concrètement, de mener une démarche de dialogue avec la société civile pour aboutir à la signature d’un contrat d’espace littoral.
Quatre ans plus tard, l’expérience achevée, les résultats sont mitigés: sur le site marocain, le développement du projet a conduit à la création d’un espace de dialogue. Mais in fine, le plan de gestion n’est toujours pas signé. A contrario et malgré une difficile mobilisation des parties prenantes lors de la phase initiale, dix administrations gouvernementales locales ont signé le contrat d’espace littoral du site algérien. Une cellule locale a été mise en place. Quelles leçons tirer de cette double expérience ?

La sélection du site constitue une étape essentielle pour le bon déroulement du processus. Un certain nombre de critères doivent permettre d’évaluer le potentiel de réussite du projet. Ainsi, le site marocain a été sélectionné pour la richesse de l’embouchure de la Moulouya. Les enjeux de conservation ont donc bien été pris en compte d’autant que le programme poursuivait un projet précédent (MedWetCoast) jugé non abouti. Cependant, le site a été retenu en dépit de changements prévus ; ceux-ci ayant des incidences rapides sur l’écosystème. En effet, le roi du Maroc avait retenu cette zone pour y implanter une importante cité balnéaire (plan Azur). Les enjeux économiques ont alors primé sur le risque écologique.
Une station littorale d’une capacité de 10 000 touristes/nuit a été construite sur plus de 700 ha en bordure de la zone humide de la Moulouya.
La dynamique des acteurs s’en est trouvée fortement modifiée, ainsi que la marge de manœuvre des acteurs environnementaux.

Des prises de contact précoces et une connaissance fine du contexte social et des acteurs sont primordiales. Mieux, la possibilité de s’appuyer sur une personne, ou un groupe, familière des sites et des contextes socio-politico-culturels participe à la solution pour limiter les écueils. Ces besoins s’accommodent mal d’un montage à distance.
L’implication des experts locaux s’avère donc indispensable. Mais elle demande de traiter des difficultés, parfois insurmontables. Sur les deux sites et malgré les efforts, les partenaires et futurs porteurs du projet n’ont pas participé activement à sa conception.
En Algérie, l’expert technique impliqué au stade du montage du projet est parti avant son démarrage. Ce changement, et l’absence de personne référente, ont compliqué la résolution des problèmes administratifs en début de processus ainsi que l’implication des partenaires par la suite.
Au Maroc, le montage a été élaboré au niveau national et sans consultation locale. Ce manque d’implication des acteurs locaux avant son lancement, ainsi que la faible prise en compte des acquis et crispations issus du projet précédent (MedWetCoast) n’ont pas été sans conséquences pour le déroulement du projet.

Comment faire participer la société civile ? Dans la zone d’El Kala, et malgré les efforts (des partenaires bien implantés ont été sollicités), le projet n’a pas réussi à mettre en place une démarche de concertation participative. Cet échec aurait probablement pu être pondéré avec une implication effective des acteurs locaux au moment du montage et une adaptation de celui-ci en fonction des spécificités socioculturelles.
Gouvernance. L’approche du projet sous l’angle de la gouvernance mérite, lui aussi, qu’on en tire quelques leçons. Il semble fondamental de rechercher l’implication d’une autorité locale, à savoir une personne en mesure de prendre des décisions et de valider des processus. Ce manque s’est fait sentir dans le volet algérien. L’absence de wâli 2 durant les trois premières années, et donc l’absence de portage de la gouvernance locale, a été un facteur limitant pour la mise en place des groupes de travail intersectoriels.
A contrario, dans le volet marocain, l’implication du secrétaire général de la province, même si elle n’est intervenue que la dernière année, a eu pour conséquence une participation satisfaisante des acteurs gouvernementaux.
La conduite d’une analyse sur les jeux d’acteurs avant l’initialisation du projet aurait probablement permis d’identifier les acteurs clés du dialogue et les manques éventuels.
Autre aspect important d’une gouvernance efficiente : la nécessité de veiller à un équilibre entre acteurs gouvernementaux et non gouvernementaux. C’est, du moins, ce que nous révèle l’expérience marocaine. Les réunions ont été organisées hors heures de travail et les week-ends afin de s’adapter aux agendas de chacun. Et effectivement, société civile, ONG, universitaires… se sont fortement impliqués. Les autorités locales et gouvernementales, en revanche, sont restées en retrait jusqu'à l’étape de validation.
Cette appropriation tardive n’a pas permis d’aboutir à la signature du plan de gestion et du contrat d’espace littoral. Là encore, une connaissance fine des acteurs (gouvernementaux et non gouvernementaux) aurait facilité leur implication.

On s’interrogera aussi sur la validité d’un processus à long terme, participatif, adaptatif, mené à travers un projet bénéficiant d'un financement à court terme (trois ans). Comment les bailleurs institutionnels qui promeuvent des démarches de gestion intégrée des zones côtières peuvent-ils adapter leur logique d'intervention pour se donner vraiment les chances de réussir ?

1. Le titre exact du programme : « Des zones humides sensibles associées à une approche de gestion intégrée des zones côtières. » • 2. Titre arabe de celui qui dirige une wilaya, circonscription administrative présente en Algérie.