Jean-Marie Dominici, conservateur de la Réserve naturelle de Scandola (Corse)

 

Espaces naturels n°64 - octobre 2018

Portrait
Jean-Marie Dominici

Jean-Marie Dominici (à droite) avec (de gauche à droite) Daniel Pauly, référent international sur la ressource halieutique et la pêche professionnelle et Enrique Sala, directeur scientifique de la National Geographic Society (États-Unis).

« Après votre appel, je pars en mer. » Il a beau être 20h30, Jean-Marie Dominici, conservateur de la Réserve naturelle de Scandola au Parc naturel régional de Corse, n’a pas fini sa journée. « Je veux avoir le dernier regard et vérifier que personne n’est resté dans la réserve. Ainsi j’aurai l’esprit tranquille... », explique celui qui, à 58 ans, et depuis 35 ans, veille sur cet espace naturel de Méditerranée. Un joyau de près de 2 000 ha, premier en France à avoir été dédié à la préservation du patrimoine naturel terrestre et marin, classé réserve naturelle en 1975 et inscrit sur la liste du patrimoine mondial de l'Unesco, mais aujourd’hui en péril. Ce complexe volcanique qui plonge dans la mer turquoise héberge une biodiversité exceptionnelle, restaurée grâce aux efforts de préservation engagés depuis des décennies. Scandola a été l’une des premières Aires marines protégées (AMP) à sanctuariser une partie de son périmètre en protection intégrale où tout mouillage est interdit. Ailleurs, le mouillage n’est possible que le jour, et seule la pêche professionnelle est autorisée, sous dérogation, avec des restrictions possibles. J.-M Dominici explique : « La partie intégrale fonctionnant comme un espace de régénération, la biodiversité marine s’est développée à nouveau dans ce périmètre et aux alentours. Aujourd’hui de nouveaux pêcheurs s’installent ici et le club de plongée local figure parmi les plus fréquentés au monde. »

Un cadre aussi idyllique a tôt fait d’attirer des touristes en masse, qui font mouiller leurs embarcations ou profitent des multiples excursions marines. Et voilà le fragile équilibre du lieu perturbé. Sous les eaux bleues limpides, les voyants sont au rouge : « les herbiers de posidonies subissent les assauts permanents des ancres de bateaux ». Les colonies de coraux, qui ont atteint dans les espaces de réserve marine intégrale des tailles rarement observées hors des sites protégés, ont, ailleurs, « reculé de 70 % en deux ans à cause de la surpêche et du réchauffement climatique » prévient J.-M Dominici. Réputée pour son patrimoine naturel, Scandola « s’est développée, mais de façon non durable, poursuit-il. Profitant d’un vide juridique, la batellerie a explosé. Et l’État a laissé les portes ouvertes. Les élus locaux n’écoutent plus les préconisations... ».

PRESSIONS

Mais le conservateur ne perd pas courage. Avec son équipe (réduite), il arpente jour et nuit la réserve, compte les allers-retours de bateaux pour évaluer leur impact, applique et améliore les suivis scientifiques qui ont fait la réputation internationale de Scandola. « Je cherche à obtenir le maximum de données sur les bio-indicateurs afin d’établir un état des lieux irréprochable », argumente-t-il.

À partir de ces données, il martèle depuis dix ans les mesures pour préserver Scandola. « Mais on m’a demandé de ne pas les publier... » Son engagement à contre-courant d’un développement économique refusant l’entrave lui coûte cher : « J’ai subi des mises au placard, un harcèlement incessant, le comité scientifique de la réserve composé d’experts internationaux a été dissout car il émettait trop d’avis dérangeants… Mais j’ai toujours refusé d’abandonner ce qui a contribué à faire de Scandola ce qu’elle est aujourd’hui. Cette force, je la puise dans un réseau d’amis scientifiques et de collègues gestionnaires d’espaces naturels protégés aux quatre coins du monde. »

COOPÉRATION

Le combat de Jean-Marie Dominici dépasse aujourd’hui les frontières de son île. Récemment, il expliquait ainsi à des pêcheurs algériens, dont les filets se vident désespérément, l’intérêt des réserves intégrales, accompagnant Marie Romani du réseau des AMP de Méditerranée (Medpan). Elle témoigne : « On s’appuie aussi sur l’expérience de Jean-Marie pour former d’autres gestionnaires. Il y a quelques rares joyaux comme Scandola en Méditerranée, nés grâce à l’engagement de personnes comme lui. »