Enseignement

En phase avec les besoins des employeurs

 

Espaces naturels n°60 - octobre 2017

Management - Métiers

Christophe Trehet

Sollicitation de professionnels, recherche de nouvelles structures de stage pour les étudiants, proposition de travaux de groupe correspondant à des commandes réelles, évaluation des étudiants en condition professionnelle, développement des contrats d'apprentissage et de professionnalisation, validation des acquis de l'expérience… les masters d'écologie entretiennent des liens étroits avec les employeurs.

Sur un coteau calcaire de Wavrans sur l’Aa (réserve naturelle régionale), cours de botanique de Benoît Toussaint, du Conservatoire botanique national de Bailleul.

Sur un coteau calcaire de Wavrans sur l’Aa (réserve naturelle régionale), cours de botanique de Benoît Toussaint, du Conservatoire botanique national de Bailleul.

Les formations supérieures de niveau bac+5 dans le domaine de l'environnement se multiplient en France, en particulier celles à vocation professionnelle1.
Selon l'Association française interprofessionnelle des écologues (AFIE), il existe aujourd'hui une bonne vingtaine de masters en écologie appliquée (sur plus de 7000 masters en France), qui communiquent le plus souvent en utilisant l’intitulé de leur « mention » (biodiversité, écologie, évolution) ou, plus rarement, en utilisant les intitulés, variés, de leurs « parcours » (bioterre, ecologie opérationnelle, expertise faune flore…).

L'augmentation du nombre de masters répond à un besoin croissant en ingénierie pour la mise en oeuvre des politiques publiques et l'application de la réglementation. Mais qu'en est-il de l'insertion professionnelle de ces jeunes diplômés ? La dernière enquête annuelle du ministère chargé de l'Enseignement supérieur, publiée fin 2016, montrait que 90 % des diplômés d’un master universitaire occupent un emploi trente mois plus tard, avec toutefois de fortes variations entre branches. Au bout de dix-huit mois, 80 % des titulaires d'un master en sciences de la vie ont trouvé un emploi (dans ce domaine ou un autre), mais seuls 42 % ont un CDI, contre 94 % en mathématiques et informatique. Pour Nicolas Massei, responsable du master gestion de l'environnement à l'université de Rouen Normandie, se pose une première question épineuse, celle du nombre d'élèves par promotion : « nous devons accueillir un nombre minimum d'élèves pour que le ministère délivre des financements, en l'occurrence quatorze en master 1, mais pas trop non plus afin, d'une part, de pouvoir dispenser des enseignements de qualité, et, d'autre part, d'être cohérents par rapport aux emplois accessibles. Nous le faisons en sélectionnant les élèves et en fixant notre capacité d'accueil. » Ailleurs, au master écologie opérationnelle de l'université catholique de Lille récemment ouvert, les résultats sont encourageants : « la quinzaine d'élèves de la première promotion sortie en septembre 2016 a vite trouvé un emploi, et tous dans le domaine qui les intéressait ! Certains avaient même le choix entre plusieurs CDI », se réjouit Caroline Portois-Bourel, responsable du master. La création de cette formation initiale s'est fondée sur la volonté de « former des étudiants qui seraient tout de suite opérationnels en sortant », en réponse à plusieurs avis émis par d'anciens étudiants et professionnels pointant la difficulté récurrente des jeunes diplômés à être rapidement autonomes dans les premières missions qui leur étaient confiées.

Pour ce faire, Caroline Portois-Bourel s'est rapprochée de l'AFIE et notamment de ses membres écologues en entreprises, afin d'élaborer le programme du futur master et de trouver des professionnels intéressés pour intervenir et siéger au conseil de perfectionnement, chargé d'évaluer annuellement la formation, suivant ainsi l'arrêté de 2014 fixant le cadre national. « Matière par matière, nous avons défini les compétences que devaient acquérir les élèves et jusqu'à quel niveau de compétences il fallait les emmener. Par exemple, il est apparu nécessaire d'améliorer l'apprentissage de la méthode d'une étude réglementaire en environnement. Nous avons donc décidé que l'exercice d'une étude d'impact intégrale figurerait au programme du master. » Le coeur du contenu du master écologie opérationnelle est fixé pour au moins les quatre années d’accréditation mais, poursuit Caroline Portois-Bourel, « on fait évoluer chaque année la formation sur le plan optionnel en restant à l'écoute des avis des professionnels que je côtoie lorsqu'ils interviennent à l'université ou en sortie naturaliste. Tout est question de dialogue ici. Les étudiants participent également à la constitution du programme, en demandant par exemple des enseignements supplémentaires en langue ou en création d'entreprise. »

Pour Olivier Thaller, maître de conférence à la faculté de Montpellier, qui dirige le master Ingénierie en écologie et en gestion de la biodiversité (IEGB), « la relation multiple et continue que j’entretiens avec les professionnels se traduit notamment par la possibilité d'intégrer le master sous contrat d'alternance (contrat d’apprentissage ou de professionnalisation) », un circuit qui tend à se développer tant dans le domaine universitaire que dans les écoles d'ingénieur. « Nous organisons tous les ans la réunion des maîtres d'apprentissage qui nous interpellent nécessairement sur l'évolution des marchés de l'emploi et des nouveaux métiers en cours d'éclosion » indique Pierre Pech, co-responsable du master bioterre à Paris 1. « Il ne faut pas oublier les Validations des acquis de l'expérience (VAE). Nous avons eu trois demandes sur la maquette actuelle, sachant que cette possibilité est peu connue », indique Bernard Amiaud, responsable du master FAGE à Nancy.

Afin de mettre en pratique l’enseignement théorique qu’ils reçoivent, les étudiants du master espaces & milieux (université Paris Diderot) doivent répondre à deux commandes réelles, proposées par des professionnels partenaires. Cela se rapproche du concept des Junior-entreprises, sortes de cabinets conseil composés d’étudiants au service de véritables clients.

Par ailleurs, Olivier Thaller s'applique à bien faire évaluer les stagiaires afin de repérer les éventuelles compétences qui leur manqueraient. Il anime également un conseil de perfectionnement. Mais y a-t-il un risque de perdre la main sur sa formation dans ce rapprochement avec les employeurs ? La question pourrait se poser dans un contexte où les financements publics diminuent. « Nous avons une chaire d'entreprise avec Eiffage, des commandes d'ateliers, les revenus de l'apprentissage : l’ensemble nous permet de récupérer plus de 220 000 euros par an » indique Pierre Pech. Le master IEGB de Montpellier est ainsi organisé : « l'écologie, en tant que science, relève de notre équipe. Les compétences transversales de l'ingénieur, comme le droit ou la gestion de projet, sont enseignées à 50 % par des professionnels et nous, tandis que les compétences opérationnelles et techniques sont confiées entièrement à des professionnels », précise Olivier Thaller. Au master écologie opérationnelle de l'université catholique de Lille, 60 % des intervenants en formation sont des professionnels.

Caroline Portois-Bourel, avance l'hypothèse qu'un tel rapprochement avec le monde professionnel s'opère peut-être d'autant plus sereinement pour les formations en environnement que « les acteurs y sont altruistes et passionnés, que la collaboration y est véritablement possible ». Par ailleurs, entretenir des liens étroits avec le monde professionnel ne signifie par nécessairement se désengager dangereusement. « On ne délègue pas la responsabilité de l'enseignement », défend Olivier Thaller. « Les formations évoluent vers plus de professionnalisation, certes, mais elles doivent rester garantes de l'évaluation, a contrario, d'une évaluation des étudiants par les entreprises. C'est à la formation de s'assurer, par exemple, que les missions de stages correspondent bien au niveau de l'étudiant, et c'est à elle de noter l'ensemble des examens.

À l'issue d'un stage, certaines entreprises se sentent critiquées au travers de la note de l'étudiant, ce qui peut être le cas, mais avec un peu de diplomatie, ça s'arrange assez vite. » Le responsable du master IEGB tient d'autre part à bien accompagner les étudiants lorsqu'ils sont en stage ou en alternance au moyen du tutorat par un enseignant. « Ça représente un coût, c'est sûr, et j'ai dû supprimer des heures de cours pour financer ce tutorat ». 

Une difficulté subsiste : cette volonté des responsables de masters de se rapprocher du monde professionnel est-elle reconnue ? En théorie à l'université, un enseignant-chercheur est censé consacrer la moitié de son temps pour la recherche et la moitié pour l'enseignement, dont l'encadrement... Le travail de responsable de master ne fait pas partie de l'évaluation (avancement, rémunération...), qui reste cantonnée aux publications scientifiques, aux encadrements de thèse et aux interventions dans des colloques.

(1) La différence entre master « professionnel » et master « recherche » n’apparaît dans aucun texte règlementaire. Elle a tendance à s’estomper au profit de masters « indifférenciés ».