Une passion

La taxonomie, côté terrain

 

Espaces naturels n°64 - octobre 2018

Management - Métiers

Nommer et caractériser de nouvelles espèces nécessite d’abord… de les trouver dans leur milieu. Une quête passionnée que mènent les naturalistes aux quatre coins du monde.

Nicolas Moulin - Crédit : Matias Loubes

Nicolas Moulin traque les mantes pour mieux les nommer.  - Crédit : Matias Loubes

Si la taxonomie1 s’est particulièrement affinée depuis qu’elle peut compter sur la génétique, il demeure que déterminer de nouvelles espèces commence par une capture de spécimens. Nicolas Moulin part régulièrement à la recherche de mantes, dont il est devenu l’un des plus jeunes spécialistes français. Dans son bureau, en Normandie, plusieurs centaines de ces « belles prédatrices » tiennent la pause dans un alignement de boîtes entomologiques tandis que d’autres, rapportées des dernières expéditions, attendent d’être tirées à quatre épingles.

MANTES ATHÉES

 Passionné « par tout ce qui grouille » depuis sa jeunesse, Nicolas Moulin a suivi des études universitaires en biologie pour terminer par un Master 2 pro en expertise faune-flore (E2F) au Muséum national d’Histoire naturelle (MNHN). Fraîchement diplômé, et rebuté par la précarité des postes en entomologie, il décide de devenir expert indépendant dans ce domaine et construit progressivement son réseau assurant des prestations diverses (relevés sur des espaces naturels sensibles, sous-traitance pour des bureaux d’études, etc.). Mais son dada, ça reste les mantes, « qui ne sont d’ailleurs pas toutes religieuses, cette dénomination correspondant strictement à la traduction en français du nom de l’espèce Mantis religiosa ». En autodidacte, dans le sillage de Roger Roy, expert des mantes au MNHN et retraité (actif), Nicolas Moulin trace son chemin. « Étudiant, je lisais ses articles, mémorisais ses techniques », raconte-t-il. Très tôt, sur ses propres fonds, il entame un travail de collecte et d’étude de ce taxon en organisant, avec d’autres naturalistes, des expéditions à Madagascar et en Afrique centrale. Il participe également à des missions d’envergure telles que « Sangha 2012, biodiversité en terre pygmée », qui l’a conduit au coeur de la forêt centrafricaine au sein d’une équipe de 70 personnes.

MORPHOLOGIE ET GÉNÉTIQUE

 Nicolas Moulin collecte des mantes dans diverses parties du monde. « Bien sûr, je rapporte d’abord celles qui me paraissent différentes mais j’alimente aussi des bibliothèques de référence avec des spécimens d’espèces connues » explique-t-il. « Chez les mantes, la couleur n’est généralement pas un critère discriminant, en revanche une tache sur les ailes peut signaler une espèce différente. » Il faut avoir l’oeil. Après une étude morphologique (mensurations, nombre d’épines sur les pattes ravisseuses, patterns de couleur, ailes, forme générale, etc.), l’entomologiste prépare des échantillons destinés à des analyses génétiques (séquençage moléculaire dit Barcoding) qu’il fait faire. Celles-ci lui permettent de révéler d’éventuels nouveaux taxons. S’il trouve une nouvelle espèce, Nicolas Moulin rédige un article destiné à des revues spécialisées à comité de relecture. Il y décrit l’espèce, signale le lieu de sa capture, la compare à des espèces voisines du même genre, formule des « clés dichotomiques » afin de les distinguer et ajoute une analyse écologique et moléculaire si la découverte a été révélée par le Barcoding. Le nom donné à l’espèce s’inspire du lieu où elle a été découverte, du prénom d’un proche ou d’un membre de l’équipe, ou de toute autre idée qui passe par la tête de l’entomologiste. Jamais de son propre nom. Mais Nesogalepsus moulini existe à présent : Roger Roy a ainsi désigné une mante dénichée en 2007 par Nicolas Moulin à Madagascar. 

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(1) D'après Nicolas Moulin, la « TAXInomie » concerne la classification tandis que la « TAXOnomie » se rapporte à la nomenclature.