Côte bleue

Les AMP ont-elles leur place dans la gestion des ressources halieutiques ?

 
Le Dossier

Frédéric Bachet
Parc marin de la Côte bleue

 

Dans un contexte national complexe, le Parc marin de la Côte bleue tente une collaboration avec la prud’homie des pêches. Leçons d’une expérience.

En trois décennies les pêcheurs ont dû faire face aux virages brutaux de la politique commune des pêches. Ils ont d’abord connu l’Europe bleue, axée sur le productivisme ; puis les Totaux admissibles de captures et quotas, négociés autant sur des bases politiques que scientifiques. On leur a ensuite imposé une gestion basée sur l’écosystème. Ils sont maintenant confrontés à une politique visant le bon état écologique des eaux marines pour 2020. Ces évolutions négligent d’ailleurs largement la pêche artisanale (trop complexe à appréhender) qui pourtant constitue l’essentiel des effectifs.
Ces marins observent une multiplication des AMP et voient parfois avec inquiétude ces nouveaux venus parler de gestion de la ressource, compétence qui reste celle du Comité national et des Comités régionaux des pêches et des élevages marins.
Ils sont également confrontés à de nouvelles contraintes dont Natura 2000 (avec ses évaluations d’incidences) ou celles liées aux énergies nouvelles. Comment ne pas comprendre leur méfiance ?
Le Parc marin de la Côte bleue a la chance de ne pas dépendre de cette équation. En 1981, un programme régional de développement de l’aquaculture et de gestion des ressources vivantes de la mer expérimentait une transposition en mer, des objectifs des parcs naturels régionaux. La démarche visait par exemple la mise en place de zones protégées ou de récifs artificiels.
Le cadre juridique était à définir. Il s’est naturellement orienté vers les outils de réglementation de la pêche. Le projet porté par les collectivités a rencontré une écoute favorable de la part des prud’hommes pêcheurs de la Côte bleue, ouverts à des mesures expérimentales et réversibles de protection. Un travail de co-construction s’est donc installé.
Le cantonnement de Martigues par exemple, résulte d’une proposition de la prud’homie qui a su défendre son idée y compris auprès de la population. Cet engagement des pêcheurs a été décisif. Ainsi, à l’occasion des programmes de récifs artificiels, ces pêcheurs ont demandé l’aménagement d’obstacles pour protéger la bande côtière de la pratique illégale du chalutage.
Le partenariat pêcheurs/gestionnaires porte sur des aspects très divers : participation à la gouvernance du parc marin, programmes d’études, propositions de réglementations sur la base de règlements prud’homaux.
La liste des effets induits serait longue, notons par exemple les prises de position en faveur d’une reconnaissance officielle du parc en tant qu’aire marine protégée ou encore la poursuite en justice des infractions concernant les cantonnements. Quoi qu’il en soit, plusieurs programmes d’études ont permis d’attester de résultats concrets, et d’une perception positive de cette politique par les acteurs de la pêche.

Pour autant peut-on dire que professionnels de la pêche et de la nature gèrent ensemble la ressource ? Les choses sont plus subtiles. Cette approche supposerait de dépasser les limites de l’AMP puisque les pêcheries concernent un cortège d’espèces très variées dont la répartition, les cycles biologiques ne se limitent pas à l’aire protégée. Par ailleurs, peu d’espèces sont véritablement connues (dynamique du stock, biologie, niveaux de prélèvements, impacts de la pollution…). Il faut aussi retenir que la gestion des pêches est une mécanique extrêmement complexe dans laquelle le gestionnaire d’AMP a difficilement sa place (compétence européenne, organisations professionnelles, administration dédiée, volets socio-économiques…).
Il serait donc plus réaliste d’affirmer que ces acteurs coagissent en faveur d’une organisation du territoire de pêche. Et que le parc contribue à formaliser cette mission traditionnelle des prud’homies en tenant compte des autres usages du milieu, en particulier récréatifs, lesquels deviennent de plus en plus prégnants.

Dans ce contexte, une question se pose au gestionnaire d’espace protégé. A-t-il négligé sa mission de protection du milieu et des habitats ? Il semble bien que non. En travaillant sur les intérêts communs du territoire vus sous l’angle halieutique et environnemental, la protection du milieu a progressé. Les obstacles au chalutage, évoqués plus haut, ont par exemple permis d’éradiquer cette pratique dans les herbiers de posidonies bien avant la directive Habitat. Des objectifs environnementaux ont donc bien été atteints, alors que le Parc marin de la Côte bleue ne disposait d’aucun outil juridique pour les mettre en œuvre.
L’objectif de gestion des ressources se révèle délicat à utiliser dans une AMP. Il est légitimement contesté aux gestionnaires et on en connaît surtout des échecs. Essayons, plutôt, de travailler autour des intérêts communs qui sont souvent sous-estimés et sous-valorisés. •