Protection des milieux

La carpe, un amour inquiétant pour les plans d’eau

 
Études - Recherches

Luc Brient
Ingénieur d’études Université de Rennes I

 

La pratique de la pêche à l’amorce s’étend et, avec elle, le développement de micro-algues et de bactéries productrices de toxines. Le gestionnaire pourrait envisager de mettre en place une gestion de cette pêche en fonction des apports au milieu.

Depuis plus de quarante ans, les excès d’azote et de phosphore en provenance des bassins versants contribuent à l’enrichissement des plans d’eau et rivières. L’agriculture intensive et l’urbanisation sont en cause. Des efforts ont alors été accomplis pour gérer ces intrants. Des stations d’épuration équipées des systèmes de déphosphatation ont été mises en place tandis que les réseaux d’eaux pluviales et usées ont été séparés. Pour l’agriculture, ces efforts sont plus difficiles à percevoir du fait d’actions contradictoires : l’adoption d’une agriculture plus raisonnée en termes d’apports minéraux et organiques reste en opposition avec le drainage des parcelles ou la suppression du bocage. Il n’en reste pas moins que certains bassins versants exportent aujourd’hui très peu de ces éléments nutritifs.
Mais rien ne change. On observe le développement massif d’algues dans les plans d’eau constitutifs. Pourquoi ?

Pêche à l’amorce. Parmi les causes à identifier : l’apparition récente d’une technique de pêche à l’amorçage de la carpe. Pratiquée en eau douce, l’amorçage utilise des produits chimiques et des solides : des éléments nutritifs qui viennent enrichir le milieu aquatique.
Ces amorces sont constituées essentiellement de farine de poissons, d’acides aminés et autres molécules. Elles ont pour but d’appâter le poisson et de l’accoutumer au lieu de pêche. Pour cela, plusieurs kilos de matière sont déposés par pêcheur. La méthodologie est précise en fonction de la surface à amorcer, de la quantité de produit et de la période. La logistique est assurée par des bateaux amorceurs.
Lors de manifestations sur vingt-quatre heures (ou enduro), des dizaines de pêcheurs déversent ainsi ces produits. Ces éléments sont digérés par le poisson qui les relâche dans la colonne d’eau sous forme minérale dont va se servir l’algue pour proliférer (elle ne consomme que des éléments minéraux). Et l’eutrophisation s’accélère.

Toxines et autres impacts. Il faut voir également que certaines espèces de micro-algues, les cyanobactéries, sont potentiellement productrices de toxines. Certains plans d’eau les abritent toute l’année tandis qu’elles sont uniquement présentes à la fin de l’été et début d’automne dans la majorité de ces milieux.
Parmi les effets impactants, on notera encore que cette pratique de pêche a accéléré un processus de modification des espèces piscivores. Liée à la carpe, elle a introduit des poissons fouisseurs dont l’action remet les sédiments en suspension, favorisant ainsi la boucle des micro-algues. Un déséquilibre écologique s’opère, rendant certains plans d’eau impropres et interdits, à la baignade mais aussi à la pêche, du fait du nombre de cyanobactéries (plus de 100 000 cellules par ml).

Que faire ? Le développement des micro-algues a lieu entre avril et octobre et tout apport d’azote et de phosphore va participer, proportionnellement, à l’accroissement de la biomasse algale. Le gestionnaire pourrait donc envisager de mettre en place une gestion de cette pêche en fonction des apports au milieu. Son approche devrait tenir compte du volume d’eau, du régime hydraulique et de la biomasse piscicole présente.
Il n’est pas question d’interdire la pêche, celle-ci est nécessaire à l’équilibre du milieu. Elle fait même défaut aujourd’hui. On voit d’ailleurs, de plus en plus en France, des actions de vidange visant à éliminer certaines espèces tels les « poissons chats » afin de permettre que s’installe une autre diversité piscicole. Le poisson d’eau douce ne sert plus comme aliment ou source de protéine comme ce fut le cas pendant la Renaissance. S’il n’est plus mangé, sa présence nécessite une gestion associant équilibre et biodiversité. •