Médiateur de l’estran : sensibiliser les pêcheurs à pied
Né du constat alarmant que les impacts de la pêche à pied étaient mal connus par les pêcheurs de loisir, le métier de médiateur de l'estran se développe progressivement depuis le début des années 2000.
Une personne qui vous répond "je peux pas j'ai marée", qui prend ses bottes et file vers la plage est oit retraité amateur de pêche à pieds, soit en vacances, soit ... médiateur de l’estran. C’est le cas de Sophie Hermy fraîchement embauchée ce printemps dans le Cotentin par l’association d’éducation à l’environnement AVRIL, en partenariat avec une association de pêcheurs à pied (APP2R). En quoi consiste ce nouveau métier qu’une vingtaine de salariés environ exercent aujourd’hui en France dans diverses associations comme les CPIE, mais aussi dans des parcs naturels régionaux? D’abord et avant tout à sensibiliser les amateurs non professionnels aux effets de la pêche à pied sur la ressource en coquillages et crustacés, et plus largement sur les milieux littoraux. « Lors d’une tournée, je m’approche des pêcheurs pour discuter et, s’ils sont d’accord, j’évalue avec eux le contenu de leur panier, explique Sophie Hermy. Nous mesurons ensemble la taille des spécimens à l’aide d’une réglette et regardons la quantité ramassée. S’ils sont trop petits ou si la pêche est trop importante, j’informe la personne au sujet des tailles minimales et des quotas à respecter et j’explique comment replacer les animaux ou mieux pêcher en repérant les traces de palourdes par exemple, plutôt que de ratisser partout. Je sensibilise les gens à la nécessité de préserver les milieux et de permettre les cycles de reproduction des espèces. » La jeune diplômée en master Gestion de l’environnement littoral répond aussi volontiers à toutes les questions qui peuvent naître à partir de cet échange, sur l’écologie des milieux marins et littoraux, sur les risques environnementaux ou encore la législation. Médiateur de l’estran, un nouveau garde-champêtre pour la mer? «Pas du tout!rétorque d’emblée Sophie Hermy. Nous n’avons aucun pouvoir policier, nous ne contrôlons pas. La discussion ne s’entame que si les pêcheurs sont volontaires et d’une façon générale c’est très bon enfant. Je préserve au maximum cette distinction par rapport aux personnes assermentées car c’est essentiel pour être accueilli dans de bonnes conditions et me permettre de travailler sereinement. » Franck Delisle, qui intervient depuis quinzeans auprès des pêcheurs à pied au sein de l’association VivArmor Nature dans les Côtes-d’Armor, se souvient lui d’une « pêcheuse fi ère d’avoir capturé un homard mais qui n’atteignait pas la taille réglementaire. Finalement, une fois sensibilisée, elle a accepté de le replacer dans son trou, ravie d’avoir pu l’observer dans son milieu et de contribuer à la préservation de la biodiversité littorale. » Le chargé de mission biodiversité a coutume de dire qu’ «on ne revient jamais bredouille d’une pêche à pied, même le panier vide ! « Ce métier a l’air simple au premier abord, mais on rencontre des publics très différents, depuis la petite famille, jusqu’au pêcheur aguerri ou une personne rétive à la surveillance, analyse Jean-Baptiste Bonnin, coordinateur du CPIE Marennes-Oléron qui figure parmi les premières structures à avoir imaginé et mis en place la médiation sur l’estran en 2004, il faut donc apprendre à aborder les pêcheurs dans leur diversité au fur et à mesure des expériences de terrain.»
SUIVI SCIENTIFIQUE
Lorsqu’elle arpente les plages, Sophie Hermy, à l’instar de la plupart de ses homologues sur d’autres littoraux, effectue également des enquêtes sur les pêcheurs et leurs pratiques. « Je compte le nombre de pêcheurs sur le site, et pour chaque pêcheur avec lequel j’échange je note des informations », poursuit la médiatrice de l’estran. En fonction des objectifs de l’enquête, les éléments enregistrés ne sont pas les mêmes. Sophie Hermy participe ainsi au suivi national de la pêche à pied menée par le réseau Littorea, né des premières rencontres nationales liées à cette activité en 2008, et co-animé par VivArmor Nature et le CPIE de Marennes-Oléron. Dans ce cadre, elle répertorie pour chaque pêcheur approché les espèces pêchées, leur conformité, si la personne possède un outil de mesure, et caractérise l’accueil qui lui a été fait. Les données recueillies peuvent également s’inscrire dans des travaux de recherche ou aux pouvoirs publics. «En ce moment, je parcours deux nouveaux sites à la demande de l’agence régionale de santé et de la direction départementale des territoires et de la mer. La première souhaite connaître plus en détail la fréquentation d’un site qu’elle juge risqué sur le plan sanitaire, quand la seconde nous sollicite pour caractériser les pratiques sur une plage où les infractions sont plus fréquentes », développe Sophie Hermy.
Un médiateur de l’estran n’est pas là pour régler des conflits, comme le nom pourrait le laisser penser. «Mais je fais du lien et j’interviens régulièrement auprès des acteurs du littoral, comme les collectivités territoriales par exemple, afin d’expliquer l’intérêt de la préservation du littoral», rapporte Sophie Hermy qui intervient de temps à autre aussi comme animatrice d’éducation à l’environnement auprès de jeunes publics.
DE DUNKERQUE À BIARRITZ
Le métier de médiateur de l’estran est intimement lié à l’émergence du tourisme de bord de mer et plus tardivement au projet Life « Pêche à pied de loisir » (2013-2017), lui-même fruit de l’engagement pionnier d’AVRIL/ APP2R, de VivArmor Nature et du CPIE Marennes-Oléron dès 2004. «À l’époque, on entendait beaucoup chez les pêcheurs locaux que le problème de surexploitation de la ressource venait des touristes, ce qui n’était pas exclusivement le cas. Sur certains sites, la pérennité des espèces était donc vraiment en péril... se souvient Franck Delisle, Mais on s’est rendu compte que les pêcheurs étaient intéressés de savoir comment mieux faire.» Aujourd’hui, constate Jean-Baptiste Bonnin, «on voit que les comportements changent, que les milieux et les espèces se portent mieux». Indice de l’efficacité du travail des médiateurs de l’estran, « quand moins d’un pêcheur sur deux, parmi ceux qu’on n’a jamais rencontrés, rapporte une pêche conforme, ce taux passe à plus de 80 % quand on l’a déjà rencontré et qu’il est équipé d'une des réglettes qu’on diffuse», observe Franck Delisle dans les Côtes-d’Armor.
Cinquante-six pourcent des estrans français métropolitains sont aujourd’hui couverts par un(e) médiateur(rice) de l’estran, des estuaires picards au littoral basque. « Ils font partie des territoires prioritaires, résume Sarah Olivier, chargée de mission au CPIE Marennes-Oléron et co-animatrice du réseau Littorea avec VivArmor Nature. Une structure intervenant sur l’Etang de Berre, en Méditerranée, nous a rejoints et un observatoire des pratiques de pêche à pied a été récemment créé dans la façade Manche-mer du Nord».
La médiation sur les estrans ne serait pas ce qu’elle est aujourd’hui sans l’aide précieuse de centaines de bénévoles. «La France compte plus de deux millions de pêcheurs à pied. Pour toucher ce public non fédéré, le bénévolat est essentiel. Il peut se produire des marées qui attirent plusieurs centaines voire milliers de personnes en à peine deux heures sur certains gisements. Il faut du monde pour intervenir à ce moment-là! pointe Franck Delisle, Dans ce cas, un coordinateur se charge de conduire le groupe, de former les nouveaux venus. Ce qui nous motive, c’est l’accueil très favorable des pêcheurs. Ces derniers sont demandeurs d’information sur la réglementation et sont sensibles aux conséquences de certaines mauvaises pratiques (non remise en place des pierres retournées, labourage dans les herbiers). Ils sont également attentifs aux consignes de sécurité:connaître l’heure de la marée haute pour ne pas se faire piéger, ne pas pêcher dans les zones insalubres pour éviter une intoxication alimentaire… Cette approche pédagogique nous permet d’avoir une certaine légitimité auprès des pêcheurs récréatifs qui nous encourage à poursuivre.»
Les financements des postes de médiateur de l’estran sont de nature variable. Celui de Sophie Hermy est soutenu par l’Agence de l’eau Seine-Normandie et des fonds européens Leader car elle sensibilise les pêcheurs à la préservation des milieux et de l’eau. Les campagnes d’enquête et de sensibilisation coordonnées par Franck sont financées à 100 % par l’État car il s’agit de mettre en application une des mesures du plan d’action pour le milieu marin qui émane d’une directive européenne. Les collectivités sont elles aussi susceptibles de participer, notamment dans le financement et l’installation de panneaux d’information à l’entrée des plages.
Pour en savoir plus sur le réseau Littorea, les bonnes pratiques de pêche à pied et rejoindre les équipes des médiateurs de l’estran:www.pecheapied-loisir.fr.