Isère

Rentable ? Gérer le cheptel en régie

 
Gestion patrimoniale

Guillaume Pasquier
Conservatoire des espaces naturels Isère

 

Le pâturage dirigé en espace naturel n’est pas toujours synonyme de surcoût.

Le pâturage s’avère être un formidable allié pour la conservation et l’enrichissement de la biodiversité. Une telle démarche est bien sûr facilitée par un partenariat avec des éleveurs locaux mais dans un contexte de déprise agricole, de terrain difficilement mécanisable ou encore quand il faut faire face à un besoin de pâturage hivernal, la chose n’est pas toujours possible.
Le pâturage en régie figure alors parmi les solutions mais est-ce économiquement acceptable ?
La réponse dépend du choix des animaux domestiques sélectionnés (équipements adaptés, prophylaxie), du mode d’élevage (reproduction ou non), du mode de gardiennage, du contexte socio-économique (déprise agricole ou non), de la nature du site d’accueil ainsi que de la politique des collectivités susceptibles de soutenir financièrement un tel projet.

Régie en Isère. L’expérience menée par le Conservatoire des espaces naturels de l’Isère nous éclaire sur la question. En 1995, pour faire face à un manque d’acteurs professionnels sur des territoires en déprise et sur des sites présentant des conditions d’élevage jugées trop difficiles par la profession agricole (bas-marais alcalin, tourbière basse-alcaline), le Cen Isère a pris la décision de se lancer dans la gestion de troupeaux en régie. Il s’agissait de gérer des petits sites de 20/25 ha à forte valeur patrimoniale.

Quel animal choisir ? Lors, le Cen a adopté le cheval Camargue. Ses qualités de résistance et d’adaptation en zone humide rendaient ce choix réaliste. D’autant que l’animal était facile à trouver, peu coûteux et, enfin, que sa docilité permettait de limiter le gardiennage au strict minimum. Le choix de l’espèce est en effet fondamental. En fonction des espèces, bovins, équins, ovins, caprins, asins, camélidés… le niveau de surveillance et les équipements d’élevages seront plus ou moins coûteux. La docilité de l’équin permet de diminuer le risque de blessure du personnel par rapport à un bovin cornu. Par ailleurs, la prophylaxie, non obligatoire, réduit notablement les frais.
En 1995, le Cen optait également pour gérer la reproduction avec l’objectif d’alimenter de nouveaux sites du conservatoire en chevaux. Mais cette approche a rapidement été stoppée. En 2000, à peine cinq ans plus tard, le gestionnaire a dû faire face à des infestations parasitaires. La gestion du cheptel est devenue difficile avec des amaigrissements importants ou encore des difficultés dans la gestion des naissances. Le Cen a alors choisi de se libérer des contraintes d’élevage liées à la reproduction. Du même coup, il se recentrait sur son cœur de métier, à savoir : expérimenter et évaluer les pratiques de gestion du troupeau afin qu’elles soient adaptées à l’entretien des habitats naturels d’espèces. Le conservatoire a œuvré pour rééquilibrer la pression de pâturage sur ses sites.

Pâturage tournant. Depuis 2001, plutôt que de laisser pâturer les bêtes dans un grand clos unique (clôture fixe), le Cen a compartimenté l’espace en une série de parcs, délimités par des clôtures électriques fixes. Le troupeau bascule de l’un à l’autre suivant les saisons et les objectifs de gestion des habitats établis par le gestionnaire. Cette technique a permis de maîtriser la pression de pâturage exercée sur chacun des clos et de diriger finement le troupeau (niveau d’abroutissement, gestion des ligneux…).
Depuis la mise en place de cette conduite de troupeau en rotation, plus aucun problème d’amaigrissement ni de parasitisme anormal n’a été détecté. La dégradation des fèces est devenue totale (huit mois de repos des parcs avant le retour du troupeau). Le passage d’un vétérinaire est devenu anecdotique et limité aux éventuels actes curatifs. Cette adaptation a eu comme conséquence d’améliorer le bien-être des animaux et d’atteindre une meilleure maîtrise des coûts de fonctionnement sur le long terme, du fait d’une réduction forte des aléas…

Gardiennage indispensable. Le choix du Cen devait également tenir compte du nombre de ses personnels : le gardiennage devait être limité. L’agent technique en charge de la surveillance du troupeau effectue un passage hebdomadaire (0,5 jour). Il se charge de l’entretien des équipements (clôtures, points d’eau, etc.), de veiller sur le troupeau (suivi de l’état corporel), d’entretenir la confiance avec les animaux (en cas de manipulation, changement de parc) et d’ajuster précisément la pression de pâturage en fonction de l’évolution des facteurs édaphiques et biologiques qu’il peut constater. Des travaux de génie écologique ou des suivis peuvent être associés à une tournée de surveillance du pâturage.
Des équipements bien adaptés ont également facilité la gestion des troupeaux. Des points d’eau permanents ont été installés dans chaque clos, ainsi que des clôtures fixes en piquets PVC, recyclés pour certains sites. Ces équipements ont participé à la réduction des frais de fonctionnement. Après dix-huit ans, aucun piquet PVC n’a été remplacé.

Approche économique. Le coût de la conduite de troupeau mis en place depuis 1995 peut être jugé compétitif en comparaison avec la fauche effectuée par un prestataire spécialisé, sur une zone humide peu portante. Ce constat résulte d’une étude dans laquelle ces deux modes de gestion ont été comparés. Cette mise en parallèle est partie du principe que la machine peut accéder aux zones (humides) à faucher en toute saison (ce qui est rarement le cas en zone humide).
Le tableau ci-contre laisse apparaître que le pâturage devient d’autant plus intéressant que la surface à entretenir est importante. Dans l’exemple développé ici, l’entretien pâturé du site du marais de Charvas est moitié moins coûteux que la fauche exécutée par un prestataire spécialisé. L’entretien pâturé de l’intégralité du site (23,6 hectares tous habitats confondus) revient en fonctionnement annuel à 365 € net/ha/an.
Ce montant résulte d’un calcul appliqué à quatre périodes d’entretien, telles que les réalise le troupeau dans les milieux ouverts des quatre parcs actuellement pâturés. Le résultat de cette comparaison des coûts de gestion des prairies humides peu portantes plaide nettement en faveur du pâturage, même conduit sur des sites de taille réduite comme ceux gérés par le Cen Isère (20-25 ha). Le pâturage dirigé en espace naturel est donc loin d’être synonyme de surcoût financier. Bien au contraire, dans certains cas. •