« Les cadres institutionnels pour la biodiversité varient considérablement d’un pays à l’autre »
Commanditée par l’Aten, une récente étude porte le regard sur les formes de gouvernance de la biodiversité dans les divers États européens. Les résultats nourrissent l’actualité à l’instant où la France réfléchit à la mise en place d’une Agence pour la biodiversité.
Votre étude vise à faciliter la compréhension de la gouvernance de la biodiversité en Europe ; vous êtes-vous penchés sur le fonctionnement des vingt-huit pays de l’Union ?
Les principaux instruments de gouvernance sont la prise de décision, le conseil, la gestion, la communication, le contrôle et l’évaluation. Concernant la dimension institutionnelle, nous avons étudié le fonctionnement de l’ensemble des pays membres, puis nous nous sommes focalisés sur cinq d’entre eux pour comprendre les interactions et rôles entre acteurs impliqués.
Votre regard a donc porté sur la Croatie, l’Irlande, l’Angleterre, la Finlande, la Hongrie. Pourquoi ce choix ?
Nous souhaitions avoir une représentativité géographique à travers l’Europe. Il nous semblait également important d’avoir des pays anciennement européens et d’autres constituant de nouveaux États membres. Enfin, nous avons pris en compte la diversité des modèles politiques. L’Espagne et l’Angleterre par exemple sont très régionalisées alors que la Hongrie ou la Croatie sont des régimes centralisés.
Vous souhaitiez fournir un éclairage sur les caractéristiques d’une gouvernance efficace. Qu’avez-vous découvert ?
Les cadres institutionnels pour la biodiversité varient considérablement à travers l’Europe, et dépendent en grande partie du contexte historique et socio-écologique de chaque pays. Dans l’ensemble des pays étudiés, à l’exception de l’Irlande, c’est le ministère de l’Environnement qui est aussi en charge de la protection de la nature. Toutefois, les domaines de compétences de ce ministère varient d’un pays à l’autre. L’environnement peut parfois être associé à l’agriculture, aux forêts, à la planification du territoire et au développement durable. Vingt États membres, dont la Croatie, ont des agences de protection de la nature dédiées, dont le rôle est généralement consultatif ou opérationnel. En outre, la majorité des pays possède des organismes publics à visée commerciale, réalisant typiquement du conseil ou du commerce. Un certain nombre d’acteurs privés, tels que les propriétaires terriens et les ONG de la conservation, sont également impliqués, généralement au niveau local ou au cours de consultations.
Malgré ces différences, vous avez classé les systèmes de gouvernance en trois catégories : gouvernance centralisée de l’État, gouvernance décentralisée de l’État et gouvernance régionale.
Dans le cas de la gouvernance centralisée de l’État, un ou plusieurs organismes gouvernementaux (ministère, Agence de protection de la nature, Agence des aires protégées, organisme infra-national) possèdent l’autorité et la responsabilité de la gestion de la nature, fixent les objectifs de conservation et mettent en œuvre les plans de gestion associés. Souvent, l’État est lui-même propriétaire d’une partie du foncier concerné, c’est le cas notamment de nombreuses forêts. Ce type de gouvernance reste de loin le plus fréquent, à l’instar de la Hongrie et de la Finlande.
Quid des autres types de gouvernance ?
Au cours des dernières décennies, les gouvernements ont eu tendance à décentraliser leurs responsabilités. Les responsabilités en matière de protection de la nature se trouvent donc de plus en plus fréquemment au niveau régional ou local. Par exemple en Croatie, la gérance des aires protégées a été déléguée de l’État aux autorités locales. La transition vers la décentralisation est aussi poussée par la nécessité dans un contexte économique difficile.
C’est donc une manière de rationaliser la gouvernance, par exemple en favorisant le partage des services d’appui entre structures. Le Royaume-Uni est un bon exemple de cette tendance.
Dans le cas de la gouvernance régionale, l’autorité et la responsabilité sont partagées entre des représentants de chaque région. Ce type de gouvernance se trouve, par définition, dans les États fédéraux ou régionaux, comme l’Allemagne, l’Italie et l’Espagne. En Espagne, les communautés autonomes ont le pouvoir exécutif en matière de protection de la nature, et le gouvernement fixe simplement le cadre d’action.
L’étude devrait être utile aux décideurs et praticiens de la conservation, en les aidant à identifier les chaînes de décisions dans d’autres pays. De quoi fournir des pistes…
Effectivement, cette étude considère l’ensemble des ressources naturelles participant au maintien de la biodiversité : forêts, paysages, milieux d’eau douce et marins. Elle regarde l’organisation de la gouvernance du niveau national au niveau local, en passant par le niveau régional. Et ceci même si la gestion des aires protégées (dont Natura 2000) ainsi que les mécanismes de contrôle et de police de la nature ne sont pas couverts en détail. •
En savoir plus : anne.turbe@biois.com • http://mic.fr/cgz1