Réserve naturelle nationale des coussouls de Crau (13)

Une co-gestion inattendue

 

Espaces naturels n°20 - octobre 2007

Le Dossier

Moune Poli

Une réserve co-gérée par une chambre d’agriculture et une association gestionnaire : ça existe. Le rapprochement repose sur la reconnaissance d’un objectif commun : maintenir les activités agricoles extensives garantes de la préservation des espaces naturels. Une sorte de gagnant-gagnant !

© P. Fabre - Chambre d'agriculture des Bouches-du-Rhône

C’est une expérience unique en Europe ! Depuis trois ans, une association de protection de la nature et une chambre d’agriculture gèrent de concert une réserve naturelle. Les partenaires : le conservatoire d’études des écosystèmes de Provence (CEEP) et la chambre d’agriculture des Bouches-du-Rhône ont été nommés co-gestionnaires de la réserve naturelle nationale des coussouls de Crau1 en septembre 2004. La co-gestion, c’est donc possible ?

Comment c’est possible ? N’allez pas croire ! Ici comme ailleurs, les intérêts des gestionnaires d’espaces naturels et ceux des agriculteurs étaient perçus comme divergents. Du reste, l’histoire locale avait très mal commencé. Sur la Crau, on se rappelle qu’en 1987, un projet d’arrêté de protection du biotope sur 14 000 ha a failli mal tourner. La chambre d’agriculture allant jusqu’à menacer de faire labourer l’ensemble des coussouls2 si le projet était adopté. Alors pourquoi cette exception ? Patrick Fabre, chargé de mission à la chambre d’agriculture, donne des détails sur le long cheminement qui conduit à un rapprochement des acteurs. « Une meilleure connaissance mutuelle, et puis l’intelligence de certains gestionnaires d’espaces naturels qui ont su s’allier à la chambre et comprendre les exigences et intérêts des uns et des autres. Petit à petit, les agriculteurs ont suivi la même voie. »
Il faut se souvenir que, dans les années 90, le contexte économique était au développement des pêchers et à l’arboriculture intensive. Les surfaces de coussouls et, avec eux, les pâturages de parcours, disparaissaient peu à peu. Les éleveurs ont vite compris qu’ils ne faisaient pas le poids économique et politique face à la filière concurrente. Ils ont saisi l’intérêt de s’allier avec les gestionnaires. « Deux cent cinquante éleveurs, en termes d’emploi, c’est peu », explique encore Patrick Fabre. « Il n’y avait pas de choix : s’allier ou disparaître. La mise sous zone de protection spéciale a permis de stopper l’arrivée de l’arboriculture intensive dans la Crau sèche et de maintenir les parcours pour les troupeaux. Nous n’y serions pas arrivés seuls. » Concrètement ces rapprochements successifs se font lors du programme d’action communautaire pour l’environnement « Crau sèche » (1992-1997) ; puis par la mise en place des premières mesures agri-environnementales en faveur des éleveurs ovins et des producteurs de foin de Crau. À la même époque, le projet de co-gestion de la réserve naturelle des coussouls de Crau voit le jour, avant de se concrétiser fin 2004.

Possible mais pas facile. Les co-gestionnaires sont donc d’accord sur un objectif commun : préserver le coussouls. Dans une sorte de gagnant-gagnant, les uns y voient un intérêt en termes de biodiversité, les autres en termes de maintien du pastoralisme extensif. Mais, dans les faits, rien n’est aisé car les questions à résoudre vont bien au-delà des approches gestionnaires. Cette gestion-là traite des problèmes de société : que veut-on faire de la Crau ? Favorise-t-on plutôt le métier de berger salarié, avec du gardiennage, en réhabilitant notamment les cabanons de bergers ? Ou bien veut-on clôturer la Crau ? Les discussions entre co-gestionnaires ne sont pas toujours très simples, « sur des points aussi précis et concrets que l’implantation de cultures fourragères au sec sur des coussouls dégradés, le passage de la zone protection spéciale restante en réserve naturelle ».
Sans compter que, même au sein de la chambre d’agriculture, le discours ne s’élève pas à l’unisson. Tout le monde convient que la filière pêchers est en difficulté, mais le débat n’est pas tout à fait tranché entre l’agriculture extensive ou plus productiviste.
Pourtant la co-gestion impose des exigences aux éleveurs. En effet, le plan de gestion de la réserve les engage plus fermement que les mesures environnementales classiques ou les conventions de pâturage.
Malgré tout cela, globalement, ça marche ! Sans doute parce que l’essentiel y est : chacun a accepté de sortir de sa chapelle et de comprendre les intérêts, les contraintes et les politiques des autres. Quinze ans de travail commun ont contribué à ce résultat.

Solution ou autoconviction. On pourrait s’arrêter là, s’autocongratuler, se féliciter, se dire que, sur la réserve, les coussouls sont sauvés. Réné Tramier, élu à la chambre d’agriculture et éleveur ovin transhumant, nous rappelle à la conscience : « Aujourd’hui, suite à la disparition des coussouls, seulement une trentaine d’éleveurs ont accès à ces parcours steppiques. » Relativisant l’expérience, on comprend alors que l’enjeu territorial est d’un autre ordre. À quoi servirait de préserver 7 500 hectares de coussouls si le reste disparaissait ? Cette « belle » expérience est fondamentale mais il faut voir plus loin. Si l’on veut maintenir le pastoralisme dans la Crau sèche, « c’est l’ensemble du cycle de l’herbe et des troupeaux qu’il s’agit de pérenniser. Ceci passe par le soutien de la pratique de la transhumance estivale vers les Alpes. Il faut lui donner un avenir. L’élevage transhumant représente en effet un modèle pour l’agriculture durable de demain. »

1. Créée en 2001 sur 7 411 hectares de parcours steppiques.
2. Le mot vient du latin cursiorum qui signifie «parcours».

Jean Boutin
Conservatoire d’études des écosystèmes de Provence
>>> Mél : jean.boutin@ceep.asso.fr

En savoir plus
Patrick Fabre
Chambre d’agriculture des Bouches-du-Rhône
>>> Mél : p.fabre@bouches-du-rhone.chambagri.fr