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Donner l'échelle humaine

 
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Entre flamants et usines, le Citron jaune propose des événements – dont un festival – ancrés dans le territoire. Les performances de toutes disciplines artistiques tissent un lien émotionnel et durable entre l'Homme et son environnement. Comment font-ils pour révéler si bien la nature ?

Bouteille, Abraham Poincheval, parc de la Révolution.

Bouteille, Abraham Poincheval, parc de la Révolution. © Jérome Boyer

C'est le contexte qui intéresse les artistes, qui les inspire, et rend leur message si fort. En Camargue, entre la nature d'un côté et les usines de Fos, de l'autre, le contraste est saisissant, l'inspiration puissante. La dynamique de ce paysage est fertile pour les créateurs. « La contrainte est intéressante », souligne Françoise Léger, directrice artistique du Citron jaune1. « Les artistes ont pour vocation d'explorer les limites. Et la nature, ce sont des limites : la sécheresse, la chaleur, la violence des éléments. » Elle raconte par exemple le projet d'une troupe de se faire dévorer par les moustiques. « Pour qu'une proposition artistique soit forte, il faut que le contexte soit fort. C'est ce qui crée l'émotion. »

C'est particulièrement vrai pour l'art contemporain, prompt à utiliser les matériaux trouvés sur place. Françoise Léger raconte par exemple une anamorphose réalisée en branches de tamaris : on ne voit rien, tant qu'on n'est pas à l'endroit précis où l'oeuvre se révèle dans le paysage. De même pour cet artiste qui utilise les sons captés aux alentours et qui les mixe en direct pour proposer une nouvelle lecture du paysage sonore. Comme si tout était déjà là, mais qu'il fallait un professionnel pour le rendre lisible.

À écouter Françoise Léger, il y a quelque chose de l'ordre de la révélation dans le processus de création. « L'artiste met le spectateur en condition de voir. »  De voir quoi ? Une vérité forte. Par exemple, la profondeur du lien entre l'Homme et sa planète, que l'Homme fait partie d'un tout. Par exemple que nous sommes des mammifères. Par exemple que nous sommes dépendants de l'eau. On répondra : mais nous le savons déjà ! Les scientifiques nous l'ont dit ! Bien sûr, en ressentir la vérité est tout à fait différent. « J'ai souvent fait des visites naturalistes. Les explications, ça casse le lien émotionnel avec l'espace. À l'inverse, s'il n'y a pas d'explication, on passe à côté de la compréhension. L'intervention artistique, en complément d'une information qui peut être scientifique, favorise le lien émotionnel. Elle donne l'échelle humaine dans un paysage gigantesque. » Pourrait-on dire que l'expérience artistique a les mêmes vertus que l'expérimentation personnelle ? On comprend tellement mieux les choses quand on les a touchées, fabriquées, désossées...

Les messages sont des prises de conscience. Les images artistiques sont en effet puissantes. Qui ne serait pas marqué par l'apparition sur un fleuve, d'une bouteille géante de 6 mètres, habitée par un homme ? Cet artiste remonte le Rhône par étape et vit dans sa bouteille par sessions de 10 jours. Il sera bientôt rendu à Lausanne. Sur son passage, il a partagé des moments de création avec les riverains, des ateliers d'écriture, des échanges entre habitants, des réflexions sur les notions d'amont et d'aval.

Autre exemple : une inondation en direct provoquée lors d'une guinguette. Les participants ont eu la surprise de voir l'eau monter petit à petit et leur mouiller les pieds puis les chevilles... Ces guinguettes sont un lieu typique de la philosophie du Citron jaune : intégration au territoire veut autant dire au paysage qu'à la communauté de ses acteurs. « Les guinguettes sont des tables rondes – vraiment rondes – autour desquelles on discute, on apprend, on partage un plat. Elles sont très demandées par les habitants. » À Port-Saint-Louis-du-Rhône, dans le PNR de Camargue, à deux pas de l'agglomération marseillaise, on croise les gestionnaires des marais du Vigueirat, les chercheurs de la Tour du Valat... « La relation avec les gestionaires d'espaces naturels s'est faite facilement. Nous avons été créés quasiment en même temps que les Amis des marais du Vigueirat, nous avons grandi ensemble. » Lors des résidences, les artistes côtoient quotidiennement les personnes qui travaillent sur les sites. Un attachement se développe. Les techniciens sont contagieux. Leur amour du paysage, leur passion des richesses naturelles contaminent rapidement les créateurs.

Même si les tenants de l'écologie sont là pour faire respecter des règles, le dogme est parfois plus strict dans les têtes que dans la réalité. « Les gestionnaires aussi ont besoin de transgression. Par exemple, pour notre inondation, on a imaginé un faux prétexte de contamination biologique pour faire enlever les chaussures. Personne n'a bronché. Ironiser sur les normes et sur la rigidité de certaines contraintes, ça fait du bien ! »

Les gestionnaires sont conquis facilement par les démarches artistiques. Les scientifiques également. « Nous organisons des balades naturalistes avec des duos scientifique-artiste. Il y a par exemple eu une archéologue-plongeuse et un acrobate sous l'eau. Ce sont de petites performances artistiques. De vraies créations communes. On tient quelque chose qui sort un peu de la vulgarisation scientifique, qui passe fortement par l'émotion. » En cette période de difficultés financières pour l'écologie comme pour la culture, Françoise Léger défend ses projets : « les choses se ferment alors que c'est justement dans ces moments-là qu'elles devraient s'ouvrir, qu'il faudrait être solidaires. » S'ouvrir sur d'autres réalités, c'est par exemple ce qui s'est fait en 2013. Un échange a été fait avec le Japon autour des risques naturels et de la culture du riz. Des rizières artistiques ont été cultivées, avec différentes variétés de riz. « On se rend compte que les problématiques sont toujours un peu les mêmes. C'est intéressant d'aller voir ailleurs, de ne pas rester enfermés sur son territoire. »

(1) Le Citron jaune, centre national des arts de la rue et de l'espace public (il en existe 10 en France) est le port d'attache de la compagnie Ilotopies, de nombreuses résidences d'artistes, et organise notamment le festival les Envies Rhônements.
www.lecitronjaune.fr